Chaque année une ou plusieurs tendances
technique ou artistique se dégagent, discrètes ou "in your face".
Comme si les créateurs se passaient le mot. En 2013 l'utilisation appuyée de la
respiration haletante du personnage principal a brusquement fait basculer
l'usage jusque là occasionnel à la surexploitation, à la limite du ridicule
dans certaines productions ou situations à force d'être aussi appuyée. Surjouée
comme à chaque trouvaille du jeu vidéo, l'utilisation de la respiration comme
outil de ponctuation ou d'amplification sonore se justifie pourtant chaque jour
un peu plus pour donner vie aux personnages virtuels. Et elle s'explique de
plusieurs façons. Par-delà le suspens et l'excitation de l'action, le jeu vidéo
cherche désormais à provoquer, ou plutôt à faire vivre, des émotions affectives
à travers des héros à l'apparence et aux réactions de plus en plus proches des
êtres de chair et de sang. Faire entendre, quitte à en rajouter dans la
ventilation, tous les rythmes de la respiration doit déclencher chez le joueur
une empathie charnelle, rendre crédible par mimétisme biologique les
situations. Et donc faire croire à ce que vit et subit son héros de polygones.
Après des années de motion capture où des acteurs récitaient leur texte
derrière un micro, la performance capture s'est généralisée à la plupart des
grosses productions. Sur le modèle défendu par Avatar au cinéma et Naughty Dog
et Quantic Dream dans le jeu vidéo, les acteurs jouent ensemble et physiquement
les situations dans un studio avec des accessoires. Quand un acteur grimpe une
échelle ou se hisse sur un échafaudage, il suffit de lui demander de bien faire
entendre son effort pour que son souffle enregistré devienne un outil sonore de
mise en scène à part entière. Au cinéma cela serait surjoué, dans un jeu vidéo
avec des personnages de cire numérique, cela aide à y croire davantage. La
nouvelle Lara Croft en particulier, soit disant moins sexualisée (c'est tout
l'inverse !) fait entendre de façon très explicite inspirations et expirations
à tout moment. Sa respiration ponctue chacun de ses gestes, les plus intimes
comme sa réaction démesurée aux cascades spectaculaires provoquées par le
décor. Derrière elle, les Nilin de Remember Me, Elllie et Joel de The Last of
Us et, bien sûr, la Jodie de Beyond : Two Souls, soupirent et grognent à qui
mieux mieux. Et parfois sanglotent. Mélangé à des effets d'ambiance assez
raffinés pour oser les silences et des partitions musicales de plus en plus
nuancées et inspirées, le jeu des acteurs (en VO) a également nettement
progressé cette année. Malgré quelques excès, 2013 est aussi l'année de la
maturité sonore. Même les dialogues des NPC de Assassin's Creed IV sont
désormais justes et bien placés dans l'espace.
Et cela tombe bien que cette année 2013
exceptionnelle (millésime même) à tous points de vue soit aussi essoufflante à
entendre qu'à vivre. Malgré d'ultimes chefs d'œuvre, les consoles PS3 et Xbox
360 étaient arrivées à bout de souffle. Et, à force d'accélération, tous les
halètements entendus dans l'année ont fini par accoucher… d'une nouvelle
génération de consoles de salon. Après tant de contractions, le soupir d'aise
est de rigueur.
Mode
d'emploi de ce best of : Sur le modèle du cinéma qui ne compare pas les longs
métrages et les courts métrages, productions à gros budgets, jeux dits indés et
jeux portables ont chacun leur top, même si les frontières sont poreuses.
Toujours militant pour davantage de créations originales et moins de suites,
les jeux inédits et les suites (identifiées comme telles) sont classés à part.
Ce à quoi vient s'ajouter - pourquoi faire simple ? - une nouvelle tendance/catégorie
indentifiable et à suivre : les reboots (où se glisse - parce qu'il fallait
bien trancher - Bioshock Infinite) dont la réussite et la perche tendue par les
nouvelles consoles vont forcément déclencher un mouvement général (Thief, Zelda
?, Prey ?...). Pour des raisons indépendantes de notre volonté, jeux Xbox One
pas encore pratiqués en longueur, mais, pour les avoir essayés, aucun des trois
premiers jeux Microsoft ne serait apparu dans ces tops. D'une manière générale,
dans la volonté d'élever le jeu vidéo au-dessus de sa condition de défouloir et
de série B ou Z, même si réussis, les jeux à base de violence excessive et
souvent gratuite, ne peuvent pas devenir les symboles principaux d'une année
jeu vidéo. L'absence de titres célèbres dans ces listes n'est donc pas
accidentelle.
Autre tendance majeure installée dans la
majorité des blockbusters : pouvoir détecter à distance les ennemis et objets
d'intérêts et, tant qu'à faire, y compris à travers les murs. Hier réservé à
l'équipement high-tech d'un Sam Fisher dans Splinter Cell, ou à la magie noire
de Dishonored, toutes les excuses sont maintenant bonnes pour offrir au joueur
un super pouvoir proche du méta game : vision d'aigle dans Assassin's Creed,
ouï hyper sensible dans The Last of Us, créature commandée à distance dans
Beyond, magie ou hyper sensibilité de Lara Croft dans Tomb Raider ? Une
aptitude toute au service du gameplay qui se double d'une dimension esthétique
puisqu'elle offre une nouvelle interprétation visuelle du décor, souvent dans
de jolis noirs et blancs éthérés. Le joueur est de plus en plus dans le jeu et
au-dessus du jeu. Raison de plus pour prendre de la hauteur…
1 / Beyond : Two Souls
Au-delà des polémiques stériles autour d'un
gameplay qui ne serait pas ci ou ça, Beyond est une œuvre cohérente à tous les
niveaux : narratif, intellectuel, interactif. Il y a quelque chose de complet,
d'autonome, dans l'expérience Beyond. David Cage est sur une piste qu'il faut
encourager plutôt que critiquer. Elle n'élimine pas le reste de l'industrie aux
arguments interactifs plus traditionnels.
(Quantic Dream / PS3)
2 / Remember Me
Sans doute le jeu le plus visionnaire (aux
côtés de Bioshock Infinite) avec son néo Paris de 2084 tagué d'étiquettes
virtuelles comme si tout le monde portait déjà des Google Glass 4e
génération. Histoire et background particulièrement bien écrits et thème sur
l'exploitation de la mémoire pour le coup vraiment adulte. Descendant plus
qu'honorable des beat'em all japonais, le touché est un peu fuyant mais
toujours fiable par rapport aux besoins du jeu. Avec regrets, Remember Me
semble avoir rejoint les plus célèbres incompris de ces dernières années
(Mirror's Edge, Enslaved…). Ce qui promet une prochaine réhabilitation puis un
culte.
(Dont Nod Entertainment / Xbox 360, PS3, PC)
3 / The Last of Us
Dommage que le talent tout terrain de Naughty
Dog se laisse aller à la surenchère de violence gore sous prétexte de générer
de l'empathie. Quel joueur adulte trouvera crédible une petite fille (mineure)
capable de flinguer et poignarder à tours de bras et au corps à corps des
humains (en plus des "infectés") ? Surtout que, oui, Naughty Dog a
aussi réussi à concrétiser dramatiquement les échanges de coups au corps à
corps. Ce qui restera surtout au-delà du jeu des comédiens impeccables dans les
cinématiques (en VO) : le stupéfiant "road movie" interactif qui
présente une coupe transversale de l'Amérique traversée de villes en bourgades
dévastées, d'universités abandonnées en lodges perdus dans la nature. L'énorme
et minutieux travail architectural à partir de lieux réels laisse vraiment
l'impression d'avoir visité tous ces endroits.
(Naughty Dog / PS3)
4 / Ni no Kuni : La Vengeance de la sorcière
Céleste
Le double pedigree Level-5 et studio Ghibli ne
suffit pas tout à fait à expliquer la douce magie qui émane de ce vibrant
hommage aux jeux de rôles japonais. Tous les clichés y sont revisités mais
transcendés et allégés des lourdeurs du JRPG traditionnel (combats tour par
tour semi temps réel, exploration libre…). Une splendeur visuelle intemporelle,
une interactivité sophistiquée
mais accessible. Un conte appréciable par les enfants ET les adultes.
(Level-5 / PS3)
5 / Zelda : The Wind Waker HD
Pas "inédit" au sens commercial puisque déjà sorti sur GameCube en
2002 (soit au moins deux générations de nouveaux gamers en arrière), mais à jamais unique, s'agit-il
là d'une suite, d'un reboot, d'un remake ? Un peu tout cela et bien plus. Car
voilà surtout la preuve qu'il s'agit là, comme un dessin animé de Myazaki, d'un
jeu indémodable, intemporel, transgénérationnel, transtechnologie,
transcontinental... qu'il fallait absolument rendre accessible à tous sur une console contemporaine. La première et suffisante raison d'acheter une Wii U.
(Nintendo / Wii U)
1 / Assassin's Creed IV : Black Flag
Le choc inattendu d'une série trop vite
essoufflée par des sorties annualisées. Sur la PlayStation 4 où tout l'espace
terre-mer se dévoile sans pudeur, ce Blag Flag devient le descendant adulte de
Wind Waker : orages et tornades en mer compris. Au point de filer presque un coup
de vieux au chef d'œuvre pourtant indémodable de Nintendo.
(Ubisoft / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)
2 / Gran Turismo 6
Après un Gran Turismo 5 au bord de l'apoplexie et de l'accident
industriel plombé par une interface inabordable, GT6 retrouve de manière totalement
inespérée sa couronne de Real Driving Simulator. Non seulement parce que les
menus se laissent enfin découvrir sans écueils majeurs, mais parce que la
conduite a fait un grand bond en avant avec une gestion bien plus souple et
organique des amortisseurs et des dérapages scotchant à la route.
(Polyphony Digital / PS3)
3 / Super Mario 3D World
2D et 3D modérée se confondent dans un
festival d'épreuves plutôt courtes faisant à chaque seconde la démonstration de
l'inventivité sans fin de Nintendo. Épuisant de créativité.
(Nintendo / Wii U)
4 / Pikmin 3
Sans doute la version définitive du concept de
RTS à la sauce Nintendo amorcé il y a déjà bien longtemps sur GameCube. Sans
surprise, un peu tard dans la grande chronologie du jeu vidéo mais irrésistible
sur Wii U et son rendu photo réaliste.
(Nintendo / Wii U)
5 / Battlefield 4
En laissant de côté les différents bugs, dont
ceux liés aux modes multijoueur, la campagne solo de Battlefield 4 déroule
morceaux de bravoure sur morceaux de bravoure. Bien sûr les triggers happy
pressés de s'éprouver en ligne n'y verront, comme dans le dernier et plutôt réussi aussi Call
of Duty : Ghosts, qu'une succession de rides sans grands enjeux. Et pourtant,
pour le joueur "ordinaire" de FPS qui prendra le temps d'apprécier le
décor et la mise en scène autour de lui, chaque tableau est vraiment épique, la
claque physique énorme. Sans compter l'esthétique classieuse saturée unique du
moteur Frostbite.
(DICE / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)
1 / Tomb Raider
Après des trailers maladroits et des
polémiques mal venues, le projet de reboot de Tomb Raider a fait très peur,
jusqu'à ce que, une fois en mains, le jeu fasse ses preuves, et quelles preuves
! Plus cascadeuse de haut vol qu'Indiana Jones, cette nouvelle Lara emprunte le
meilleur de tous les trucs des blockbusters de ces dernières années avec, là
surgit le choc le plus important, un aplomb et un polish interactif inédit dans
la série.
(Crystal Dynamics / Xbox 360, PS3, PC, Mac, à
venir : PS4, Xbox One)
2 / Bioshock Infinite
Autant caser dans la section
"reboot" ce Bioshock au contexte complètement réinventé qui ne
retient du premier épisode qu'une partie du gameplay FPS/RPG US. Ken Levine
vise clairement très haut, trébuche avec des séquences de tir absurdes qui
finissent par écorner le monde si méticuleusement édifié. Il n'empêche, après
Rapture sous les eaux, la cité dans le ciel de Columbia a d'ores et déjà marqué
pour toujours le jeu vidéo.
(Irrational Games / Xbox 360, PS3, PC, Mac)
3 / DmC Devil May Cry
Deux choses importantes à retenir de cette
fabuleuse réinvention aussi jouable que splendide à voir, une double
confirmation : le savoir-faire japonais en jeu d'action est bel et bien
totalement dépassé par celui de l'occident ; le studio Ninja Theory est un des
meilleurs monde, et sans doute le plus chic (Enslaved).
(Ninja Theory / Xbox 360, PS3, PC)
Top
jeux indés 2013
La notion de jeux indés devient chaque jour un
peu plus flou. Curaté par Steam ou en accès libre autonome sur ordinateur ?
Publié par Microsoft sur Xbox Live… Arcade (appellation souvent déplacée,
Brothers, qui s'y trouve, n'est pas un jeu "d'arcade") ? Soutenu par
Sony Computer ? Portable ou sur appareils de salon ? Une ligne pointillée
sépare désormais tous ces jeux dont le véritable point commun serait d'avoir
été créé avec un "petit" budget là aussi très variable.
1 / Brothers : A Tale of Two Sons
La démonstration bouleversante qu'un jeu vidéo
peut émouvoir par le gameplay, et c'est un réalisateur de cinéma qui vient la
faire en collaboration avec un studio de jeu vidéo.
(Starbreeze / XBLA, PSN, PC)
2 / Luxuria Superbia
Il suffit de toucher ce jeu ventouse sur iPad
pour ne plus resté bloqué aux scènes de douche ou de lap dance en substituts de
scènes de sexe censurées des grosses productions. Le sexe en jeu vidéo, c'est
possible finalement. Même sur l'App Store Apple, qui l'eu cru ?
(Tale of Tales / IOS, Android, PC, Mac, Linux)
3 / The Stanley Parable
Une mise en abime complice, physique et
mentale étonnante du joueur et du créateur. L'équipe de Galactic Cafe a
visiblement bien retenu les pistes lancées par Portal et Portal 2… (Partie
encore en cours mais déjà manipulé par le jeu de façon magistrale).
(Galactic Cafe / Mac, PC)
4 / Gone Home
Un descendant indoor de Myst, plus
matérialiste et midinette, mais aussi plus proche de la vie réelle, plus
psychologique. L'introspection en jeu vidéo a désormais un nom. Les
nostalgiques des années 90 sont tombés les premiers amoureux de ce touchant
hommage à une époque grunge chérie avant d'entrainer d'autres publics. Dommage que,
techniquement, le jeu donne du fil à retordre à des gros iMac (PC ?) pas plus
vieux que 2009.
(The Fullbright Company / PC, Mac, Linux)
5 / The Cave
Pas si classique ce revival du puzzle
exploration de Ron Gilbert, drôlement malin et bien animé. On en rit encore.
(Double Fine Productions / XBLA, PSN, IOS, Android,
PC, Mac, Linux)
Top
jeux portables 2013
1 / Zelda : A Link Between Worlds
L'impact émotionnel de ce revival du classique
SuperNintendo ne peut vraiment pas s'apprécier sereinement tellement il
bouleverse les sens et fait trembler les doigts. Le plus beau compliment qu'on
puisse lui faire consiste sans doute à craindre que toute l'énergie créatrice
de ce A Link Between Worlds hyper dynamique sur 3DS rende très difficile de
relancer l'original.
(Nintendo / 3DS)
2 / Luigi's Mansion 2
L'original GameCube était et reste un jeu
vraiment unique. Cette suite baptisée Dark Moon en VO (sans le chiffre 2
peut-être rassurant pour le marché européen, mais, au fond, insultant) confirme
un mélange d'action, exploration, puzzle et ambiance vraiment fun, toujours
surprenant et fondamentalement stupéfiant. Personne en 12 ans ne semble avoir
exploité le système impayable de pêche à la ligne aux fantômes. Bulletstorm en
avait peut-être trouvé une déclinaison en forme de FPS…
(Nintendo / 3DS)
3 / Tearaway
Comme LittleBigPlanet avant lui, Tearaway ne
peut pas exister sans le talent poétique du studio Media Molecule seul capable
d'injecter dans un jeu plein de surprises, de poésie, de folie douce, d'humour
premier et énième degré. Un jeu capable de mélanger des concepts abstraits tout
en exploitant toute la panoplie interactive tactile disponible sur PlayStation
Vita.
(Media Molecule / PS Vita)
4 / Badland
Magnifique à regarder, étonnant à jouer, seul
et même à plusieurs, le tout avec un seul doigt sur iPad. Une des plus
complètes production artistique sur iPad avec un gameplay vraiment organique
sans cesse surprenant.
(Frogmind / IOS, Android)
5 / Ridiculous Fishing
Dans la catégorie des jeux idiots (Angry Birds
quelqu'un ?) faussement simpliste, Ridiculous (c'est dans le titre) Fishing
remporte le pompon. Achever ses poissons au shotgun façon ball-trap après les
avoir pêchés en eaux profondes, ça ne s'explique pas.
(Vlambeer / IOS, Android)
Top DLC
2013
> Dishonored : La Lame de Dunwall
> Dishonored : Les sorcières de Brigmore
> Far Cry 3 : Blood Dragon
> Bioshock Infinite : Buried at sea
> DmC Devil May Cry : La chute de Vergil
Le mot
de la fin.
En 2013, la conclusion de trois jeux importants ont confirmé la maturité grandissante du jeu vidéo en général. (GARANTI SANS
SPOILERS) Les dernières images et ultimes mots ou silences de Beyond : Two
Souls, Brothers et The Last of Us impressionnent grandement par leur audace et
capacité à prolonger leur vibration interne au-delà du mot FIN. Chacun de ces
jeux se concluent logiquement en même temps que leur histoire, ferment bien
leur boucle narrative et émotionnelle, et pourtant, ils continuent de
résonner dans le joueur/spectateur bien après la dernière ligne du générique.
Les trois jeux osent un véritable coming out au moment de leur conclusion,
révèlent tout à coup une ambition thématique et un propos supérieur qui offrent
au jeu vidéo, après Journey, une dimension intellectuelle et philosophique que
les guetteurs du jeu vidéo vraiment adulte sauront apprécier.