Comme dans toute bonne tragédie, il aura fallu une mort, celle de la Dreamcast, pour prendre la mesure du drame. Les jeux vidéo vivent une de leur plus grande crise de croissance et révèlent un symptôme : l’inversion des valeurs. Réflexions.
La Dreamcast chérie se meurt, la Playstation 2 qu'on aime détester court vers le succès commercial. Quand le commerce et la communication gagnent la bataille contre la créativité et l'originalité, il s'agit bien, comme l'a dit le philosophe Nietzsche, d'une inversion de toutes les valeurs. Cette fois il ne s'agit plus de mots ou de menaces, il y a eu mort mécanique de la Dreamcast, et les choses ne seront plus jamais comme avant. Les jeux vidéo sont passés du bricolage à l'artisanat pour devenir une industrie lourde et cette fois pour de bon, sans retour en arrière possible.
La tragédie a remplacé la comédie, non pas parce que la Dreamcast a rendu les armes, mais parce que les jeux vidéos sont dorénavant aux mains des marchands. Les mastodontes de la communication capables de vendre du doré pour de l'or. Si on arrive à nous vendre aujourd'hui du hardware dessiné sur du papier ou joli comme un bibelot sans que l'on sache bien quoi en faire, quels jeux réussira-t-on à nous vendre demain ? La Dreamcast nous offrait un repère qualitatif, même si elle sera encore présente cette année dans les foyers, sa disparition laisse l'année 2001 aux seules mains de la Playstation 2, une console pour l'instant plutôt décorative.
Heureusement, une tragédie sans spectateurs ne serait rien. S'il écoute son cœur plutôt que la publicité, le versatile public des jeux vidéo peut encore tout changer. Si les valeurs s'inversent, les tendances aussi.
ACTE 1 : Sega, j'aurais dû t'être fidèle
Milieu des années 90, la formidable Megadrive agonise avec le Mega CD et le 32X. Sursaut polygonal avec la Saturn, échec suivi d'une petite mort. Résurrection incroyable avec la Dreamcast et… mort définitive des consoles Sega. Sega s'est fait aimer, puis détester, puis ridiculiser, pour retrouver l'état de grâce médiatique. Mais le marché est ailleurs…
Sony arrive sur le marché des consoles en 1994. La Playstation la joue underground et se fait connaître à la base de la culture jeune et branchée, pratiquement sur les dancefloors. D'abord reconnue par les spécialistes, la console de Sony se transforme alors en produit de masse. Admirée pour avoir revigoré le marché sous le nez de Sega et Nintendo, son succès forcera le respect mais attisera les jalousies. Profitant de son statut de confiance, Sony sur-médiatise le projet Playstation 2. Sans jeux, la nouvelle console chic et trop chère déçoit. Le scepticisme grimpe, la colère monte, la détestation n'est pas loin. Un nouveau challenger sera bien accueilli…
Sans doute à tort, Sony est accusé de complot universel. Au sommet de l'industrie des jeux vidéo depuis quatre ans, Sony Computer est maintenant accusé d'avoir la grosse tête, d'avoir les yeux plus gros que le ventre. Un jour au service des joueurs, Sony est à nouveau au service de l'électronique grand public et révèle à toute une génération de joueurs un visage qu'elle ignorait. Le ressentiment actuel pourrait très bien devenir de la haine généralisée si des jeux solides ne viennent pas inverser le déclin médiatique. Aussi grossiers soient-t-ils, les énormes signes d'amitié lancés par Microsoft avec sa console Xbox pourraient être entendus des joueurs comme des développeurs.
ACTE 3 : Nintendo, je n'ose plus t'aimer
Nintendo invente les jeux vidéos à l'ouest du Pacifique au début des années 80. Chute du géant américain Atari, Nintendo devient le "Frigidaire" des jeux vidéo : dans les années 80 on ne joue pas aux jeux vidéo, on joue à la Nintendo. Nintendo est devenu la norme. La SuperNintendo sort après le succès de la Megadrive de Sega, les jeux sont indispensables mais l'Empire a tremblé et le doute s'immisce chez les joueurs. La sortie trop tardive de la Nintendo 64 avec un support cartouche d'un autre âge ne convient pas au public Playstation. "La N64 ne serait-elle pas une console pour les enfants ?" se demande le joueur... La gène s'installe…
Jaloux et excessivement protecteur de son succès des années 80, à l'image de son directeur / empereur intransigeant, Nintendo jouera trop les donneurs de leçons. Le message qualité / prudence / patience est sans doute juste, mais la manière de le faire passer est trop rude. Nintendo se révèle conservateur, voire réactionnaire, et commence à transpirer la suffisance. Cartouches trop chères, royalties trop importantes pour les éditeurs, Nintendo ne cherche pas à se faire aimer et se contente du respect que lui valent ses jeux uniques. L'irritation puis l'indifférence des joueurs s'installent dans une routine. La N64 n'a pas bonne image et Nintendo n'a plus la cote. Quelques rares jeux absolument indispensables empêchent la N64 de sombrer dans l'oubli mais qui avouera jouer sur une console pour les enfants ? Surtout que le vrai succès de Nintendo est sur Game Boy avec les Pokémon. Trois extraits de projets GameCube et c'est l'euphorie. Tous les bons souvenirs remontent et le pardon est au bord des lèvres…
ACTE 4 : Constance de la tragédie, je t'aime, moi non plus
La tragédie et les coups de théâtre sont une constance dans l'industrie des jeux vidéo. Le succès phénoménal d'Atari avant une chute digne de l'Empire Romain au début des année 80 aura donné le ton. Depuis, les succès et les échecs se suivent avec une régularité digne d'un sitcom planétaire. Et le public suit.
Avec le retrait de Sega du marché des consoles, une pleine page de l'histoire des jeux vidéos est en train de se tourner. Pour Sega évidemment, qui, tel le Phénix, devrait néanmoins renaître une deuxième fois grâce à ses équipes de développement, mais aussi pour le reste de l'industrie et les joueurs. Annoncé depuis longtemps sans pouvoir en mesurer la portée, le passage d'une industrie de jeux vidéo presque artisanale à une industrie lourde est cette fois énoncée au grand jour. A l'heure où les produits comptent moins que la façon de les vendre, le procédé qui consiste à mesurer la valeur d'un produit en fonction du nombre d'unités vendues, et non de sa valeur intrinsèque, vient d'être entériné dans la jeune industrie des jeux vidéo avec l'arrêt de la console Sega. La Dreamcast était le meilleur produit en rapport qualité / prix sur le marché. Faute, sans doute, de communication suffisante, et à cause aussi de l'hégémonique culture Playstation, la Dreamcast devient un échec commercial alors que c'est une réussite artistique et industrielle. De l'autre côté, tous les acteurs s'interrogent sur la soit disant technologie de pointe de la Playstation 2. Un an après sa naissance, aucun jeu n'est encore venu prouver sa puissance et pourtant, la nouvelle console de Sony se vend aussitôt sortie des usines.
La Playstation 2 est-elle aimée pour autant ? Pas vraiment, car en gagnant la bataille contre une Dreamcast respectée, Sony se met aussi dans la position du bourreau. Si Sony ne justifie pas vite la disparition de la Dreamcast au profit de sa console, la Playstation 2, qui n'a déjà pas bonne réputation, risque définitivement d'endosser le mauvais rôle. Les victimes attirent toujours la sympathie, et les gagnants inspirent la crainte. Plus que tout autre, le public jeux vidéo a prouvé maintes fois sa capacité à changer son fusil d'épaule. Si Sony ne regagne pas rapidement le cœur blessé des joueurs, la tragédie trouvera en la Playstation 2 un nouveau vilain et réclamera en la Xbox un nouveau champion. A moins que, d'un ultime coup de théâtre à l'arraché, l'ancêtre Nintendo ne vienne réclamer avec sa GameCube, la couronne d'un royaume qui était autrefois le sien.
Rideau tiré sur la Dreamcast, il reste encore Sony, Nintendo, et un nouveau challenger de poids, Microsoft. Le petit théâtre des jeux vidéo devenu grand va à nouveau frapper trois coups. Quel sera le prochain acte ? Lever de rideau probable fin 2001.
12 commentaires:
Un trés bon compte rendu historique du virage prix par le jeu video.
Je sais plus quel philosophe avait écrit "l'asile est maintenant controlé par les fous",
c'est exactement le cas avec l'industrie du jeu video controlé par des Business Men à la solde d'Actionnaires voulant toujours plus de bénéfices.
Cette génération de plateformes montrent la fin des Game Designers engloutissant des millions de dollars pour sortir un Okami ou un Shenmue.
De toute façon le coeur de cible des consommateurs n'ont-ils pas récemment boudés Mirror's Edge et jeter leur dévolu sur SIMS "n" ou PES 2009.
Quand on constate aussi la mort cérébrale ou l'emprisonnement créatif des game designers d'antant, on ne peut qu'admirer le retour des indépendants et leurs créations prométeuses comme Crayon Physics, Braid et autres.
Je possède 2 DC que je range soigneusement avec une trentaine de jeux, cela me permet de retrouver de temps en temps mes valeurs de gamer...
Allez faut que j'aille finir Ace Combat 6 sur XB360...
En effet, la dreamcast nous ramène à de nombreuses années en arrière. C'est sûr que l'industrie du jeu vidéo a beaucoup changé depuis. Quand on voit un Bioshock, peut-on réellement dire que la créativité est bridée ? Tout dépend des studios et de leur politique, mais il subsiste encore (heureusement !) des success story où l'intérêt vidéoludique n'est pas complètement subordonné aux intérêts commerciaux (j'en veux pour preuve des studios comme Quantic Dream par exemple^^)
Merci, merci, merci! Avec cet anniversaire de la Dreamcast j'ai beaucoup pensé à cet article. Ca avait été une véritable bouffée d'oxygène au milieu de mon entourage aveuglé par la PS2 qui riaient de la disparition de cette grande console. Très content de le retrouver ici et de pouvoir le sauvegarder précieusement.
Heureusement qu'ils restent des fans pour continuer à partager leur passion envers SEGA : Guardiana (MD), Satakore (SAT), objectif-sega (généraliste) et d'autres...
Je comprends tout à fait : j'étais à l'époque un possesseur de DREAMCAST... et je n'ai pas compris ce qui était en train d'arriver ! :(
C'est lorsque SEGA a cessé de fabriquer ses machines, que j'ai compris que ma console allait disparaître de la circulation !
Et c'est pourquoi j'ai choisi une Xbox... pour m'assurer que ça ne recommencerai jamais !
Il va de soi que je ne pardonnerai jamais à SEGA de nous avoir fait un coup pareil !!!
Bien qu'avec le recul, on s'aperçoit qu'il n'avait pas trop le choix !
Un bon compte-rendu détaillé, quoi qu'il en soit ! :)
Signé : le Mulder de Dream Arena (ça devrait rappeler des souvenirs aux anciens possesseurs de DC).
un article bien ecrit qui prouve bien ma pensée à l'égard de cette console qui restera "la console", une claque visuelle, une avancée technologique impressionnnante, des jeux rarements égalés, mais bon beaucoup de mouton ont préféré acheté un lecteur dvd de mauvaise qualité qui avait une option jeu.fantavision... Ils doivent être en train d'acheter leur platine blu ray à l'heure qu'il est....huhu
Si sega avait seulement eu les moyens financiers de Microsoft, la situation aurait été différente.
Il suffit de voir l'emprise de la marque Playstation (au même titre que google) pour comprendre que Sega n'avait pas beaucoup de possiblité pour faire mieux.
Zou,
"Quand le commerce et la communication gagnent la bataille contre la créativité et l'originalité, il s'agit bien, comme l'a dit le philosophe Nietzsche, d'une inversion de toutes les valeurs. "
Quel est donc ce simili-besancenisme basique? Mettons cela sur le compte de la jeunesse du site à l'époque, et je dis cela sans prétendre apprendre aux rédacteurs leur métier. Ni Sega ni aucun autre constructeur même à l'âge d'or, n'était l'ami artiste bienveillant du joueur. Que ce soit du jeu vidéo ou du fromage, on parle effectivement ici de business.
La Dreamcast reste une de mes consoles favorites, mais force est de constater qu'en dehors d'un nombre de hits solides, beaucoup de ses productions sonnaient creux (moins que sur N64 toutefois). Peut-être que la console manquait de titres longs et élaborés pour tenir compagnie aux excellents jeux d'arcade, trop fragiles toutefois sur le long terme. La PS2 est arrivée avec une farandole de promesses mensongères, ma déception fut grande au premier allumage, mais des années après le résultat est là. Paix à la DC, saluons sa brillante carrière, saluons Sonic Adventure et Shenmue (et bien d'autres), mais il ne faut pas tomber dans la divinisation non plus.
ps: salut BWIL!
J'étais jeune à l'époque, bien trop jeune pour comprendre que l'industrie du jeu vidéo, encore centrée sur le jeu et pas plutôt la vidéo, perdait ce jour-là un acteur majeur, un fondateur presque, mais quoi qu'il en soit une déjà presque légende.
Je lisais déjà overgame à l'époque par contre, et je crois que c'est à travers cet article que j'avais commencé à prendre conscience de l'ampleur de cette disparition.
Aujourd'hui j'ai eu le temps d'en mesurer toutes les implications et les conséquences et se replonger par votre article dans un passage historique de l'univers vidéoludique me permet de me remettre les idées en place.
Très bonne idée d'avoir ressorti ça des tiroirs... Si seulement Microsoft, Nintendo ou Sony pouvaient vous lire.
salut la compagnie , vous avez failli me manquer.
vivement que le site reprennent des couleurs, je suis de tout cœur avec vous pour la continuité de vos articles qui ne laisse jamais indifférant.
à bientôt les gars, bye.
Je suivais déjà Overgame à cette époque et si ma mémoire est bonne la suite de cet article n'avait jamais été publié. La faute je crois à une restructuration du site, qui, pour mémoire à cette (lointaine) époque nous pondait de la news quotidiennement.
Allez Bliss, entre deux piges pour LAL, retrouves-nous la suite !
Salut tout le monde!!
Pour ce qui est de la disparition de la dream, c'est triste en effet.. Je me fait code veronica et f355 en ce moment... Quel claque. Mais Bon quand on voie ce qu'est devenu RE..
Enfin bref pour moi c'est l'ensemble de la production industrielle qu'il faut revoir..
aller une suite a shenmu....
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