samedi 27 mars 2010

Rewind, 27 mars 2010

Retour sur quelques-unes des actualités marquantes de la semaine : annonce de la 3DS Nintendo, "très longues démos" payantes d'Electronic Arts, Xbox 360 Slim et best-of des citations.

Difficile de passer à côté de la 3DS cette semaine, une annonce ayant suscité une frénésie inversement proportionnelle à la quantité d'informations tangibles disponibles. Dans un bref communiqué diffusé mardi dernier, le constructeur confirme uniquement que le successeur de la super-populaire Nintendo DS (30 millions d'unités vendues rien qu'au Japon) arrivera d'ici mars 2011, offrira un effet 3D sans besoin de porter de lunettes dédiées et sera compatible avec les logiciels DS et DSi.

Ce qui n'a pas empêché toute la presse et l'industrie jeu vidéo de spéculer, en particulier sur la mystérieuse 3D offerte par la machine. Une théorie populaire – car relayée par les très sérieux quotidiens japonais Nikkei et Asahi – parle de technologie à barrière de parallaxe, c'est-à-dire la présence par-dessus la dalle LCD classique d'un filtre chargé de distribuer les pixels tantôt à l'œil gauche ou droit. La société Sharp fournirait les écrans, lesquels sont déjà utilisés dans certains PC portables et téléphones mobiles. Peut-être plus plausible cependant – car existant déjà – est l'utilisation de la détection des mouvements, soit de la tête du joueur, soit de la machine, pour modifier la perspective d'une scène 3D, créant l'illusion d'une "fenêtre" à travers laquelle le spectateur regarde l'univers virtuel. En début d'année, Satoru Iwata confirmait d'ailleurs que la prochaine DS serait équipée de capteurs de mouvements, une source du magazine anglais CVG ajoutant que ceux-ci seraient "similaires à ceux de l'iPhone mais permettant de faire beaucoup plus".

La référence à la machine Apple n'est peut-être pas un hasard. Si l'annonce d'une "DS 2" était relativement attendue, beaucoup ayant dernièrement remarqué une "contraction considérable du marché DS", le timing, à deux semaines de la sortie de l'iPad aux Etats-Unis note GamesIndustry.biz, est en revanche plus que suspect. Une étude récente du site Flurry estimait à 19% la part de l'iPod/iPhone sur le marché américain du jeu vidéo portable en 2009, comparé à 5% en 2008. Une telle croissance se serait faite au détriment de la PSP avant tout mais aussi de la DS, laquelle aurait perdu 5% en un an. Enfonçant le clou, une autre étude, toujours de Flurry, affirmait il y a peu que 44% des applications iPad testées actuellement seraient des jeux. Bonne nouvelle pour Nintendo, Colin Sebastian estime que la 3DS et son écran à "effet 3D" devraient permettre à la société de faire face à la "menace" posée par les appareils portables tels que l'iPhone. En attendant une réplique éventuelle de Sony, puisque l'analyste attend également du constructeur de la Playstation qu'il annonce le successeur de la PSP durant le printemps – sans 3D, si l'on en croit les commentaires du responsable hardware et marketing américain.

Avant-première payante

Juste avant l'annonce de la 3DS, le début de semaine avait été animé par un rapport de Michael Pachter, de retour d'une visite chez Electronic Arts. Selon l'analyste, l'éditeur travaillerait actuellement sur des projets de "contenu téléchargeable premium" diffusé avant la sortie du jeu complet, soit une "très longue démo de jeu" vendue 10 ou 15 dollars. Côté studio, c'est la possibilité de pouvoir commencer à éponger les coûts avant même la fin du développement, tout en utilisant le feedback des joueurs pour peaufiner le produit final. Pour les joueurs, c'est la possibilité de bénéficier d'un avant-goût à priori conséquent d'un jeu attendu pour une somme relativement modeste. Pachter parle d'une stratégie "géniale".

Comme attendu, cependant, les sections commentaires s'enflamment, une grande majorité de joueurs refusant de payer pour jouer à une démo, très longue ou pas. Pourtant, la stratégie d'EA ne fait que répéter une évidence : pouvoir essayer un titre en avant-première a une valeur, ce qui est très loin d'être nouveau. Il y a deux ans, Sony lançait le dernier Gran Turismo sur PS3, ouvertement décrit comme un "prologue" à la véritable cinquième version (toujours en cours de développement) et pourtant vendu 40 dollars aux Etats-Unis. Pendant ce temps, une partie de l'abonnement payé par les membres Gold du Xbox Live leur permet de bénéficier régulièrement d'un accès exclusif aux toutes dernières démos, avant les membres Silver qui, eux, doivent attendre.

Le modèle d'EA n'est bien sûr pas sans relents inquiétants, expliquant les réactions des joueurs. Le fameux contenu premium pré-sortie remplacera-t-il purement et simplement la démo gratuite ? Se profile également le risque de payer 10 à 15 dollars pour ce qui pourrait n'être qu'une simple préversion du jeu, une somme alors acquittée pour le "privilège" de jouer les beta testeurs. Une chose semble certaine : la monétisation de tous les contenus (quelles que soient leur "taille") est plus que jamais à l'étude et le concept de la bonne vieille démo n'échappe pas au brainstorming, même si l'idée ne date pas d'hier (un éditorial du site Edge Online paru il y a plus d'un an titrait déjà "Faut-il faire payer les démos de jeu ?"). Electronic Arts, pour sa part, s'est très vite fendu d'un peu de damage control, précisant que rien n'avait encore décidé et que les démos "traditionnelles" resteraient gratuites.

En attendant la Slim

Microsoft a annoncé aujourd'hui qu'à partir du 6 avril prochain, date de la prochaine mise à jour système Xbox 360, les joueurs pourront choisir d'utiliser de simples clés USB standard en lieu et place des cartes mémoires habituelles. Il sera possible d'y stocker des sauvegardes, bien sûr, mais aussi tout type de fichier (profils, démos, fonds d'écran, etc.) présent sur la console à l'exception des jeux installés. La machine supportera un maximum de deux clés de 16 Go branchées en simultané, pour un espace total se montant donc à 32 Go *.

Plus intéressant, cependant, est le corollaire de cette annonce, à savoir la disparition prochaine et complète des cartes mémoire chez les revendeurs. "On épuise les stocks" a ainsi confirmé le fameux Major Nelson au magazine Joystiq. Intéressant car on se remémore ces photos parues la semaine dernière d'une carte-mère Xbox 360 "Slim" supposée. Interrogé à son propos, le moddeur fou Ben Heck (créateur d'une multitude de consoles de salon "portables") se disait "sûr à 99%" qu'elle ne supporterait pas les cartes mémoire. "Il n'y a pas un seul connecteur qui ressemble de près ou de loin à un lecteur de cartes mémoire", déclarait-il. On reste fermement dans le domaine de la rumeur, certes, mais la coïncidence reste intrigante, d'autant plus que Microsoft ne cache pas son intention de faire de la sortie de Natal à la fin de l'année un "second lancement" de la Xbox 360.

* Après bien des tergiversations et des packs Super Elite exclusifs, Microsoft a finalement mis en vente au détail un disque dur de 250 Go. Disponible aux USA le 30 mars (130 $) et en Europe le 16 avril (100 €). Le fameux et rare câble permettant le transfert de données entre disques durs est fourni.

Zapping

"Un milliard de singes n'écriront jamais un chef d'œuvre."
Mark Estdale, fondateur de la société Outsource Media, spécialisée dans le casting voix, à propos de la qualité médiocre des scénarios et dialogues dans le jeu vidéo. (Source)

"Si des mesures anti-copie telles que la connexion permanente à Internet précipitent la mort du jeu PC, la triste vérité est que ça sera probablement un soulagement, plutôt qu'un problème, pour les éditeurs."
Un éditorial du site GamesIndustry.biz, à propos des mesures anti-copie PC radicales adoptées par UbiSoft (Assassin's Creed 2) ou Electronic Arts (Command & Conquer 4).

"Quand je me remémore mon expérience à GTA IV, ma gorge se dessèche, ma tête s'alourdit, et je sais que je pense à la cocaïne."
Tom Bissell, journaliste, à propos de sa descente dans l'enfer des drogues – et du gaming.

"Il existe un jeu gratuit dit 'social' où les développeurs déstabilisent l'équilibre du jeu à des moments-clé de la partie pour vous persuader de dépenser de l'argent afin de remettre les choses en ordre. C'est une guerre, la guerre des créateurs de jeu contre les services compta."
Un lecteur du site Quarter to Three, cité dans un excellent article de Gamasutra résumant le débat post-GDC autour du phénomène du social gaming.

"Je n'ai jamais dit que les jeux vidéo étaient de l'art."
Shigeru Miyamoto, peu après avoir été honoré par la BAFTA, l'Académie Anglaise des Arts du Cinéma et de la Télévision. (Source)


[Image : la 3DS imaginée par l'utilisateur Branduil chez NeoGAF.]

samedi 20 mars 2010

BAYONETTA : Faster, Pussycat !


Tout est dit dès l'écran-titre en fait, le plus savoureux qu'on ait vu depuis très longtemps. Invoquant le souvenir brumeux des salles d'arcade, lorsque chaque borne s'annonçait au chaland après une courte vidéo démo ("Street Fighter… Two !"), Bayonetta se présente en énonçant son nom – mais pas n'importe comment. A la fois susurré et scandé, couché sur une onde de choc basse fréquence comme sur une coulée de lave, la courte séquence en rouge et noir évoque la tension moite d'un après-midi d'été, sensualité torride et orage imminent.

Déjà disponible depuis octobre au Japon, le dernier beat'em all du japonais Hideki Kamiya, plus connu comme le créateur du super-stylé Devil May Cry, a déjà beaucoup fait parler de lui – et tout est vrai. Le système de combat, d'une fluidité exemplaire, marie pieds et poings, corps à corps et flingues, avec la même élégance, l'un pouvant interrompre l'autre à tout moment selon les besoins et/ou l'envie. Celui-ci offre également des degrés multiples de jeu, satisfaisant les désirs immédiats de puissance (les coups spéciaux "torture", dont l'outrance est soulignée par des appuis rageurs et répétés sur un même et unique bouton) tout en réservant à ceux qui le voudront bien le relever un vrai challenge basé sur l'observation et les réflexes, tout en gracieuses esquives et en coups portés au bon moment, avec une pointe de retenue.

Mais si le titre parvient à offrir une expérience aussi singulière dans un domaine à priori archi-codifié (le classique beat'em all 3D), c'est avant tout grâce à sa pulpeuse héroïne. PlatinumGames n'est pas le premier studio à opter pour un tel premier rôle au sein d'une industrie plutôt réputée pour reléguer la femme tantôt au rang de fétiche, tantôt au rang de produit d'appel. Des exemples tels que Lara Croft, représentant le plus visible, évoluent ainsi à la limite de la masculinité, simples cautions sexy dans des univers d'homme, vivant des aventures d'homme. Les exceptions existent (Alyx Vance dans Half-Life 2, Jade dans Beyond Good & Evil, pour ne citer que les plus connues) mais elles jouent généralement sur un registre neutre – presque asexué – de gentille copine, comme conscientes de ne pas vouloir brusquer un public hardcore encore beaucoup décrit comme adolescent et masculin.

Tout le contraire de Bayonetta la sorcière qui, elle, assume et revendique à 100% sa féminité et sa sexualité. Sucette à la bouche, lunettes office girl sur le nez, elle aussi est objet de fantasme. Mais à la différence de Lara, c'est elle, ici, qui semble entièrement contrôler sa destinée et son image – le combat final contre un symbolique "Créateur" suggère qu'elle échapperait même au contrôle de Kamiya. Les rares hommes de son univers s'agitent autour d'elle comme des jouets, tantôt impotents et maladroits, tantôt Casanovas de pacotille incapables de la séduire. De fétiche sexy, elle devient symbole de puissance et intouchable déesse, voire idole castratrice (cette séquence où une rangée de pierres tombales dégringolant comme des dominos menace l'entre-jambes d'un des personnages masculins).

Si l'on retrouve dans le jeu l'euphorie et la précision des meilleurs beat'em all, les sensations et l'expérience, en revanche, sont différentes, délaissant les blockbusters machos habituels pour un univers aux touches plus féminines, voire féministes. Jamais, en effet, l'on aura usé de baisers pour faire sauter des verrous magiques. Ou bien vu une paire de lèvres pulpeuses marquer ses cibles. Ou transformé sa longue et soyeuse chevelure en dragon pour achever un boss. Qu'on ne s'y trompe donc pas : il y a une logique créative à la présence, sur le blog de PlatinumGames, d'une discussion autour des proportions des fesses et des seins de l'héroïne, comme d'autres s'attarderaient sur les détails de la modélisation d'un M-16 ou d'un AK-47. Le corps, ici, est la véritable arme.

Chronique parue dans le N°7 du trimestriel AMUSEMENT actuellement en kiosque, avec son aimable autorisation.

mercredi 10 mars 2010

BIOSHOCK 2 : Aquabon ?

Faut-il ou non replonger dans Rapture ? Même en avançant avec humilité et respect, l'opportunisme mercantile peut-il reconditionner sans dommage une œuvre assez marquante pour mériter d'exister sans suite ? Faut-il cautionner une nouvelle descente en apnée dans un enfer unique tout juste maintenu à distance par les eaux de l'Océan ? En gros, Bioshock 2 nous fait-il boire la tasse et prendre les vessies d'une redite pour les lanternes d'un premier jeu brillant ?

Phénomène totalement inhabituel, des développeurs américains jusqu'aux attachés de presse stagiaires délégués pour présenter le jeu, l'essentiel de la communication de Bioshock 2 s'est articulée sur le thème de la modestie. L'ordinaire de la communication du jeu vidéo à suite surjoue habituellement la surenchère. Uncharted 2, Assassin's Creed 2 et Mass Effect 2 n'y ont récemment pas échappé. Leurs suites devaient corriger les "approximations" (aveux à postériori transformés en un nouvel argument de vente), améliorer les conditions de gameplay, décupler l'impact audiovisuel et tactile. Pas Bioshock 2.
Prenant le taureau par les cornes, l'éditeur 2K Games a préféré désamorcer en amont les procès d'intention. Rien n'égalera le premier jeu. La suite ne doit pas altérer le souvenir de l'original, ni brusquer son univers, ses appétences intellectuelles, ses codes esthétiques et interactifs. Rarement propagande aura pris autant de précaution à faire savoir qu'une suite ne cherchera pas à "faire mieux" et se contentera de prolonger un univers qui, sous entendu, ne nécessitait, "nous sommes tous d'accord", ni revisitation ni réhabilitation. Bioshock 2 a donc été conçu pour les fans du 1. Comprendre : ceux parmi les fans qui ne peuvent s'empêcher de réclamer une nouvelle casserole d'un plat qu'ils apprécient. Les autres fans, ceux qui pensent qu'un jeu vidéo devrait se suffire à lui-même comme un livre, une BD ou un film, ceux-là, devront s'incliner devant les fans affamés qu'il serait odieux de priver. L'éditeur vient d'annoncer que Bioshock 2 s'était déjà vendu à 3 millions d'exemplaires en un mois quand le premier Bioshock atteint un joli 4 millions en deux ans et demi de commercialisation. Si l'univers peut se réduire à une équation, nulle doute qu'un jeu vidéo peut se légitimer par une addition.

Recette salée
Sans tabou ni trompette mais avec quelques suspicions quand même, Bioshock 2 vient donc servir la soupe. Salée, toujours, puisque l'océan, plus présent que jamais autour d"une cité au bord de l'implosion, et le sang mêlé aux flaques d'essence, continuent de suinter et couler des sols craquelés aux plafonds fissurés. De choc il n'y a plus. L'onde du bang original fut néanmoins si forte que son écho rebondit encore sans effort des couloirs vitreux aux halls majestueux de la métropole engloutie. Une ville souvenir d'elle-même dans le premier jeu, une ville souvenir du premier jeu dans le deuxième. Assez littérale et forcément non préméditée, la mise en abîme fonctionne. Le scénario sonne juste aussi, bien qu'il se cogne aux logiques de gameplay. Ainsi, l'idée d'endosser le scaphandre d'un Big Daddy (Protecteur en VF) serait complètement bonne si elle avait joué le jeu jusqu'au bout de l'identification. Mais puisqu'il est impensable de laisser le joueur durablement enfermé dans la carapace 20 000 lieues sous les mers de gros gardes du corps, mahousse costauds mais lourdauds, et lents d'esprit, les injections de Plasmides et autres Fortifiants devront suffire à justifier qu'il bougeât très vite comme un athlète. Et donc trahir l'image et la pesanteur trainées par les intimidants Big Daddy de Bioshock 1.

Trivialités
Le Rapture d'Andrew Ryan se voulait un espace de liberté individuelle, mais Flèche pointeuse et portes verrouillées tracent un chemin rigide et sans finesse dans les ruines au bord de l'apoplexie finale. Le vagabondage architectural se justifie moins que le reniflage trivial des recoins. Par un mécanisme de transfert mental automatique, l'espace au fond plutôt vide, se densifie artificiellement avec la multitude de pseudos objets à collecter dans chaque coffre oublié, caisse enregistreuse, bars et autres planques. Et bien sûr, avec toujours le même mauvais goût qui empêche ce jeu vidéo, comme le premier, de s'élever vers la noblesse qu'il frôle, en dépouillant les cadavres d'humains mutants aux corps disloqués, brûlés, mitraillés, électrifiés… La brutalité physique s'impose toujours. Malgré la belle sélection d'armes et de pouvoirs, bien décrites, désignées et mises en scène, les combats font plus brouillons que jamais. Les adversaires aux capacités physiques variées, telles les nouvelles Grandes Soeurs, ne se déplacent pas en respectant des lois physiques que l'on peut appréhender ou anticiper. Ils sautent dans toutes les directions, s'éloignent ou s'approchent à des vélocités inattendues ou restent bêtement à portée de coups de crosse comme les maniaques suicidaires qu'ils sont. Le décor fracassé où le joueur ne peut jamais vraiment anticiper les distances, cachettes et surplombs, offre toujours aux adversaires l'avantage, même passé la surprise. Seules les plus habiles réussiront à jouer avec le décor plutôt que contre. L'outillage mécano-magique relativement sophistiqué ne conduit ainsi généralement qu'à des affrontements pratiqués à l'instinct, au réflexe. Des bagarres qui finissent, dans tous les cas, en carnages incontrôlables.

Pour et contre
Dès que l'on cesse de discutailler le bien fondé de cette suite, l'ensemble fait la blague. Surtout quand il se contente de décliner respectueusement l'univers original. Lorsque Bioshock 2 tente de s'envoler de quelques encablures inédites, l'absence de Ken Levine, le visionnaire à l'origine du premier choc, se fait sentir. Bonne idée sur le papier, les passages sous l'eau que permet le scaphandre du Big Daddy manque, par exemple, singulièrement d'envergure visuelle et matérielle. Les malignes récréations cérébrales des phases de piratages du premier Bioshock, ont été remplacées ici par un jeu de réflexe métronomique bien réducteur. Là encore, paraît-il, il s'agit de répondre aux réclamations des "fans". Mais où s'exprime donc cette majorité qui impose ses lois appauvrissantes aux amateurs satisfaits et silencieux ? Assagis, les visages des Petites sœurs ont ainsi perdu l'étrangeté, digne mais franchement perturbée, du premier jeu. Ils sont lissés de toute aspérité subversive tout comme les moments originellement si importants où le joueur décide d'épargner la Petite Sœur ou de lui soutirer tout l'Adam quelle possède. Ces instants dramaturgiques cruciaux ont perdu tout impact. Ils reflètent une des grandes carences d'un jeu revu et corrigé pour plaire à un plus grand nombre encore : la mise en scène. Rien ne remplace ici l'introduction du premier jeu ni aucune des scènes poignantes de Bioshock 1. Si le contexte physique peut faire illusion, sa mise en situation tombe à plat.

Les larmes se perdent dans l'océan
L'éditeur 2K Games a bien de la chance. La richesse de l'univers visuel, auditif, et scénaristique du premier Bioshock a marqué si profondément qu'il entraine de facto un désir d'y retourner. A-t-on bien tout vu dans le premier épisode ? A-t-on tout compris d'une fiction aux ramifications complexes et au thème politique majeur ? C'est grâce à ce sentiment de jeu plus grand que sa condition qu'un Bioshock 2 trouve sa place. Dès les premières notes profondes du lancinant violoncelle, les craquements des vieux gramophones crachant de vieux tubes du début du XXe siècle ou des magnétophones où s'expriment cette fois des femmes à leur tour emportées par les folies de l'utopie Rapture *, tout un univers sensible se réactive. Le monde écroulé de Bioshock se nourrit d'un passé régurgité qu'un Bioshock 2 même fatigué n'a aucun mal à ruminer. Même en partie dévitalisée, la dimension artistique du jeu perdure et se laisse visiter, armes à la main bien sûr, comme une gigantesque galerie in situ. Assumons notre faiblesse collective pour les gouttes d'Adam et d'Eve qu'il reste à téter et laissons les Petites Sœurs orphelines se charger de sangloter sur l'autel du premier Bioshock.

* "Si le monde moderne avait été un de mes patients, j'aurais diagnostiqué un profil suicidaire… En cela, Andrew Ryan avait raison. Rapture… est une délivrance". Sofia Lamb, politicienne et psychiatre qui a pris la place d'Andrew Ryan.