vendredi 25 septembre 2009

Jeux vidéo toujours interdits de location, l'occasion fait le larron


Alors que la location de jeux vidéo reste interdite en France, le marché parallèle de l'occasion se développe toujours plus avec l'arrivée de la Fnac. Une solution satisfaisante ni pour les consommateurs ni pour les éditeurs. Et pourtant, quand on demande au porte-parole des éditeurs de jeu vidéo pourquoi cela n'est pas possible, il affirme : "Ce ne serait pas significatif, nous avons décidé en France de ne pas le faire".



Aujourd'hui 25 septembre, la Fnac se lance officiellement dans le marché du jeu vidéo d'occasion. En place depuis quelques mois à titre expérimental notamment à la Fnac St Lazare, la formule "Okaz Gaming" fonctionne désormais dans tous les magasins de l'enseigne. Il suffit de se présenter au rayon jeux vidéo avec ses jeux pour se voir proposer un prix qui sera valable uniquement en avoir, mais pour n'importe quel type de produit vendu à la Fnac. L'enseigne propose à ses clients intéressés une carte individuelle "Fnac Gaming" qui évite de décliner son identité à chaque transaction et qui offre quelques avantages à son lancement. Il n'est pas indispensable d'être adhérent pour l'obtenir. Tout en reconnaissant que le marché de l'occasion est en plein essor sans en donner les raisons (tarifs prohibés, crise économique ?), le directeur de la Fnac Fabien Sfez révèle ainsi qu'un "joueur" achèterait "environ 8 jeux par an dont 5 d'occasion". La Fnac rejoint ainsi les enseignes spécialisées du jeu vidéo comme Game ou Micromania habituées de longue date à la reprise de jeux vidéo.

La mise en place à grande échelle de ce marché du jeu vidéo d'occasion a de quoi surprendre, non pas du côté des consommateurs, dont l'avantage, si l'on veut faire abstraction des tarifs ridicules de reprise par rapport au prix d'achat, se comprend aisément, mais du côté des éditeurs qui ne touchent pas un centime, à ce que l'on sache, sur ces transactions. Ce florissant et chaque jour plus officiel marché du jeu d'occasion en France reste un pis aller pour les gamers de grande consommation. Encore une fois, les tarifs de reprises face au prix de vente élevé, la baisse rapide du prix initial neuf de certains jeux quelques mois seulement après leur sortie, bref la cotation en temps réel de ce marché que gère à l'instinct, ou à la tête du client, les petits magasins spécialisés, et par un système informatique centralisé les grandes enseignes comme désormais la Fnac, relève plus de l'exploitation que d'un service. Une solution alternative à ce marché presque noir existe pourtant : la location de jeux vidéo. Plus digne, plus rentable pour les éditeurs, plus raisonnable pour les gamers ou les familles de joueurs moins avertis, la location de jeux vidéo fonctionne officiellement depuis des années aux états-Unis et même, pas très loin, en Grande-Bretagne. En France, la location de jeux vidéo ne se pratique pas parce qu'elle serait "interdite". Comprendre, sans doute, que contrairement aux éditeurs de vidéo et de musique, les éditeurs de jeux vidéo s'entendent pour ne pas autoriser la location de leurs produits.

Le porte-parole bien connu du SELL français (Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs) Jean-Claude Larue a fait une petite sortie médiatique à la veille du Festival du jeu Vidéo de Paris que le SELL, et donc les éditeurs, parrainent pour la première fois. Lors d'un long entretien paru ici, nous lui avions posé une ou deux questions supplémentaires, dont une concernant cette impossibilité de louer des jeux vidéo en France. Voici sa - évidemment peu satisfaisante - réponse…

O : Historiquement, le marché de l'occasion empiète sur les ventes de jeux neufs. Les éditeurs s'en plaignent régulièrement. Une solution serait d'autoriser la location de jeux vidéo sur le modèle des USA par exemple. Pourquoi n'est-ce toujours pas possible en France ?

Jean-Claude Larue, délégué général du SELL : Parce qu'on ne veut pas. Il existe un marché du neuf et un important marché de l'occasion en France. Il est donc possible d'acheter un jeu à sa sortie, puis quelques semaines plus tard d'occasion, puis quand il vient ensuite dans des offres à tarifs réduits. La location représente des chiffres relativement modestes et qui sont souvent facteur de piraterie. On estime que ce ne serait pas significatif. Donc, nous avons décidé, en France, de ne pas le faire.

Entretien complet...

vendredi 18 septembre 2009

Festival du jeux vidéo à Paris : 16+ petites impressions sans langue de bois manette en main

La journée réservée presse du jeudi 17 septembre a permis d'essayer sereinement la plupart des jeux présentés. La foule publique attendue des trois jours suivant (18-20 et 21 septembre) va forcément compliquer l'accès aux jeux. Avec beaucoup de passion et de patience, l'attente devant chaque borne devrait tout de même valoir le coup. Bruyants podiums avec danseurs et danseuses, jolies hôtesses et figurantes costumées dans les allées et quelques décors donnent à ce salon parisien des allures de petit E3 pas désagréable. Après la réussie Games Convention de Cologne et l'annulation à la dernière minute de l'événement GameOn de Londres en novembre, le Festival de Paris devient vite indispensable. En attendant le Micromania Games Show qui s'installera à la Grande Halle de la Villette en octobre.

Nous avons donc pu jouer à 16 jeux (!) au fil de l'inspiration et observer quelques autres… Le grand événement technique du salon se présente sous la forme de plusieurs écrans Panasonic de 103' (261 cm de diagonale). De véritables monstres sur lesquels Ubisoft fait une démonstration assez laborieuse en pleine allée de Splinter Cell Conviction et, dans une toute petite salle drapée noire, du jeu Avatar en 3D. Une présentation de luxe sur un tel écran au résultat inégal. Les effets de perspectives, d'avant et d'arrière plan de la 3D stéréoscopique fonctionnent plutôt bien avec les lunettes polarisantes. Voir les indicateurs du jeu flotter devant l'écran ajoute bien à l'effet un peu irréel de l'image. Les réserves viennent plutôt du moteur graphique du jeu lui-même. Bien qu'il utilise celui de Far Cry 2 comme l'annonce le démonstrateur d'Ubisoft Montréal où le jeu est conçu, l'affichage saccade, la définition semble basse (version Xbox 360 en démo), les contours peu nets et aliasés de la si importante jungle de Pandora. L'eau sur le sol est rudimentaire, les effets d'éclaboussures quasi inexistants. Du côté du gameplay le contact entre les personnages et le décor laisse à désirer. Bref c'est un jeu loin d'être fini, et si l'on sait que l'assemblement technique de certains gros jeux se fait à la dernière seconde (on se souvient du premier Halo plein de hoquets quelques semaines avant sa sortie), la sortie calée pour la fin novembre, avant celle du film le 16 décembre, ne laisse pas beaucoup d'espoir.

Assassin's Creed 2 était lui aussi présenté de façon magistrale dans une petite salle à part pour un résultat en demi teinte. La section présentée se déroule dans des sous-sols aux décors de pierre assez neutres, loin des bâtiments colorés italiens attendus en surface. Les déplacements d'Ezio se calent pour l'essentiel sur ceux d'Altair et, mis à part des aptitudes comme celle, montrée, de pouvoir poignarder deux personnes en même temps dans le dos (!), en se laissant tomber d'une hauteur par exemple. On ne sent pas, avec cette démonstration, un changement significatif. Une section de saute-mouton et de plate-forme à la Prince of Persia ne réussit pas non plus à donner plus de poids aux actions du personnage. Il saute beaucoup trop vite d'une poutre à l'autre, ne semble pas avoir la pesanteur de son corps et se résume à une version superficielle des déplacements acrobatiques du dernier Prince of Persia. Même si le voir s'accrocher à des chaines suspendues et de s'y balancer réjouit.

Les 3 gros jeux multi-joueurs installés dans des décors thématisés se sont laissés regarder de plus ou moins loin. Y accéder demande plus de temps et d'organisation collective que les manettes simplement disponibles. Un coup d'œil rapproché à Halo ODST laisse visuellement très froid. Rien de neuf, des effets et des environnements bien connus et une image à la résolution plutôt basse. À réserver visiblement aux grands habitués des parties en ligne. Deux regrets : ne pas voir pu assister à la présentation d'Aliens vs Predator chez Sega pour cause de présentations trop espacées dans le temps, et de Battle Field Bad Company 2 dont les postes n'ont pas voulu fonctionner.

Gran Turismo 5 et Forza 3 : Tous les deux disponibles sur des écrans et dans des baquets, le plaisir du premier contact avec les deux monstres va très nettement en faveur du jeu sur Xbox 360, alors qu'un seul circuit est pourtant praticable. Forza surprend d'ailleurs avec des couleurs pétantes à la Sega qui l'éloigne un peu du réalisme photographique, il faut bien l'avouer, de plus en plus désincarné de Gran Turismo. Les tracés déjà connus du jeu de Polyphony, l'aliasing flagrant, et la lourdeur générale transforment Gran Turismo en vieux dinosaure figé dans sa formule. Les maigres extraits ne donnent pas, on l'espère, la mesure du jeu complet. Signalons quand même que les icones des menus et le curseur qui les survole vont beaucoup plus vite que l'interface de GT5 Prologue. En bon copieur de Gran Turismo, Forza 3 accentue encore son réalisme avec une prise en main d'une efficacité redoutable. Plusieurs tours dans un baquet avec un volant estampillé Porsche donne toute la mesure de l'exercice physique demandé ici. Sur la base de ce premier essai, Forza 3 renvoie à l'arraché le plus d'excitations visuelles, sonores et nerveuses.

Le retour des beat'em all, ou plutôt des slash'em all : Pratiquer l'un après l'autre Bayonetta, Dante's Inferno et God of War III et même Ninja Gaiden 2 – le Brutal Legends esquivé pourrait s'ajouter à cette liste - provoque une certaine gène. Avec, bien sûr des variations bien à eux, les 3 premiers jeux déclinent le même gameplay, la même procédure générale de jeu. Les grands moulinets d'armes extensibles des uns et des autres font voler avec la même efficacité les vagues d'assaillants surnaturels au point que les mêmes gestes de bases semblent interchangeables d'un jeu à l'autre. Les petits et gros combos évidemment varient, comme la mise en scène de certaines extravagances, mais ces jeux là se ressemblent trop et ne devraient pas sortir en même temps au premier trimestre 2010 comme actuellement planifié. Pour entrer dans quelques détails, Dante's Inferno semble accentuer davantage les énigmes de passage. Plutôt abscons, l'exemple donné à jouer à base de leviers, de déplacements de socles et de contrepoids n'était pas très probant. Les menus et les différentes possibilités de gestion apparaissent dès maintenant très plaisantes. L'amour des détails de l'équipe derrière Dead Space se ressent. Le Bayonetta japonais décline ouvertement et légitimement l'ADN de Devil May Cry puisque le même créateur en est responsable. Les animations de l'héroïne à la Sarah Palin mérite toute l'attention des hétéros. Elle n'hésite pas à onduler outrageusement du bassin par provocation et le déclenchement de certains combos font disparaître sa combinaison moulante pour laisser voir en une fraction de seconde sa nudité (à la Samus Aran période 16 bits). Très chaud pour un jeu vidéo. Une attraction qui cacherait presque une mise en scène des combats complètement délirante avec des entités monstrueuses sortant du sol et des jets de matières et de couleurs hors normes. Joué en mode Normal après avoir jeté un œil aux différents modes assistés bien présents et bien expliqués dans les menus, l'affaire fonctionne avec une belle aisance. Bayonetta se révèle beaucoup plus impressionnant en jouant que dans les extraits vidéo. Commun aux 3 jeux, le spectaculaire jaillit sans effort du moindre bouton. Entre les mains, God of War III a pour lui une familiarité confortable. Peut-être trop, coups et QTE se déclenchent sans surprise. L'ensemble s'appuie sur une fluidité particulièrement convaincante, le personnage solidement ancré dans son monde et les animations d'une rigueur exemplaire. Un passage où il fallait franchir des obstacles en s'accrochant plusieurs fois à la suite aux pattes de harpies capricieuses a bien posé quelques problèmes mais avec un peu plus d'application et sans doute d'adresse, un joueur plus habile doit pouvoir manœuvrer ça sans problème. Rien ne surprend dans cet extrait de God of War III mais tout fait plaisir. Ninja Gaiden 2 quant à lui, plus mécanique dans ses mouvements et déplacements, devient capable, dans le petit parcours essayé sous tutorial, de courir sur les murs façon Prince of Persia. Plus vertical, puisque le niveau se déroule dans les escaliers d'une pagode géante, et quand même plus sobre que ses congénères à la sauce mythologique, la démo renoue avec le gameplay à la fois travaillé et raide de la série.

Sur Wii, Red Steel 2 et Dead Space Extraction, présenté lui dans les tentes ouvertes du stand Nintendo, arrivent difficilement à retenir l'attention, avec leurs petits écrans et leur basse résolution, et à générer un plaisir de jeu spontané avec leur maniabilité compliquée. Il faut impérativement un ou une hôtesse à côté pour expliquer comment jouer (un comble pour la Wii tout public) et même comme ça, le début de Dead Space Extraction oblige à affronter un monstre trop gros pour soi, demandant trop d'effort physique et une coordination entre la Wiimote et le Nunchuk qui ne s'apprend visiblement pas en cinq minutes. L'ambiance et certains détails reflètent pourtant bien l'univers de Dead Space et le jeu mérite sûrement plus d'attention. Red Steel 2 n'appelle pas beaucoup de reproche ni d'enthousiasme. Le réussi aspect visuel dessiné presque cellshadé flatte un peu l'œil comme le décor entre western et Japon féodal. La prise en main, après explications, s'avère certainement plus efficace et moins trouble que sur le premier Red Steel. Déplacements, mouvements d'épée, reconnaissance des mouvements de la main fonctionnent apparemment avec assez de fidélité. On y croirait plus si les situations de jeux avaient un peu plus d'originalité. Épée, pistolet, époque, prise en main… Red Steel (2) continue d'être tout et rien et donc d'avoir un problème d'identité.

The Saboteur : L'outsider presque caché au stand chez Electronic Arts se laisse pourtant regarder et jouer comme un jeu à l'environnement totalement inédit. Quelque part dans la France de la Seconde guerre mondiale, un ouvrier en casquette et manches retroussée, un début en noir et blanc sous la pluie avec taches de rouges évidemment nazis, une campagne vallonnée avec petits murs de pierre, des oiseaux innocents qui se dégomment au vol, clochers au loin, Tour Eiffel irisée aussi…, l'ambiance et le rythme posé du jeu tranchent nettement avec l'hystérie du reste du salon. La prise en main à la 3e personne aussi à base de visée tranquille et de cachecache derrière les caisses ou murs et d'échelles à grimper ou descendre. Tout irait bien si dès le départ le level design n'avait pas recours à des répétitions de couloirs et d'espaces digne d'un jeu vidéo paresseux et non d'une architecture crédible.

DJ Hero : La proue musicale du stand Activision dont les couleurs, la musique et les faux musiciens de Guitar Hero 5 sur scène ont fini par attirer le nouveau ministre de la culture en visite. Un casque sur la tête et une platine DJ Hero sous les mains ont permis d'échapper un moment au superficiel brouhaha politique pour vérifier que, oui, l'interface de jeu de DJ Hero fonctionne bien. L'exercice sera clairement moins convivial et sexy que le rock band multi instrumentistes, même avec 2 platines simultanées, mais le plaisir de jeu descend sans équivoque de celui des Guitar Hero. L'option pour gaucher place curieusement les 3 boutons colorés sur l'extérieur du disque plutôt qu'à sa position initiale à l'intérieur. Retourner la platine pour utiliser la main gauche ne semble pas possible. Un détail minoritaire. La fausse platine de disques qui permet de singer les scratchs ne fait pas toc (juste un peu tristoune, stickers colorés à venir probablement) et s'avère même assez lourde pour demander un vrai effort musculaire pour scratcher avec tel ou tel doigt appuyé sur la couleur demandée. Petites déceptions avec l'intérêt acoustique des mixes des Daft Punk, notamment celui qui absorbe de façon très anecdotique le We will Rock you de Queen.

Uncharted 2 : Among Thieves : Est-ce vraiment utile de confirmer qu'il s'agit là d'un grand jeu ? Que ce qu'on voit de spectaculaire en vidéo a encore plus d'impact la manette en mains ? La richesse visuelle des détails et des couleurs n'a d'égal que dans le raffinement des contrôles du personnage. Ça shoote beaucoup dans le centre urbain explosé jouable, mais les phases de grimpette sur les façades et dans les bâtiments détruits laissent augurer du meilleur. Petit moment privilégié recommandé : jouer installé sur la banquette arrière d'une petit Fiat 500 sortie tout droit des décors du jeu.

Heavy Rain : Deux impressions simultanées ressortent après avoir pris le jeu en main. Impatience et doutes face à une séquence d'enquête sous la pluie bien trop lente et lourde. Et une stimulante et, pour le coup vraiment inhabituelle, séquence où une jeune femme se maquille, s'habille et va, toujours sous le contrôle minutieux de la manette, séduire un mafiosi sur la piste de danse d'un night-club. Maintenir une pression permanente sur le bouton R2 pour marcher et ne pas pouvoir courir irrite d'emblée. Les gestes contextuels à accomplir avec le stick droit quasi organique, l'affichage évanescent des pensées des personnages en appuyant sur L2 et les secousses de la manette qui complètent les gestes à l'écran, en revanche, surprennent et enthousiasment. Il y a là nettement "more than meet the eyes" (plus que ce que les yeux ne peuvent voir) et cette aventure ne se mesurera pas en quelques minutes de prise en main sans contexte, et sans musique.

New Super Mario Bros : Jouable uniquement à plusieurs, le nouveau Mario sur Wii fait tout sauf neuf. L'impression d'avoir déjà vu et pratiqué les niveaux mille fois laisse un peu sur le carreau malgré l'envie enfantine que procure toujours un jeu Mario. La description du gameplay et des contrôles impeccables ne nécessite aucune explication au-delà de la réserve chronique de la prise en main à l'horizontale de la Wiimote. Cette incarnation Wii du succès de la DS réussira-t-elle à sortir des casquettes et Mario et Luigi des surprises permettant de rouvrir grand les yeux sur le monde Nintendo ? Mario et Luigi faisant de la luge sur le ventre rhabillé en costumes de pingouins font-ils rire ? On demande à voir.

jeudi 10 septembre 2009

Les archives d'O. : Fin de la Dreamcast (I) : 2001, renaissance de la tragédie

Il y a 10 ans tout juste, le 9/9/99 presque un an après le Japon et un mois avant l'Europe, la console Dreamcast sortait aux États-Unis. En janvier 2001, Sega annonçait l'arrêt de la production de ce qui s'avèrera sa dernière console. À l'époque le choc culturel fut important. 10 ans plus tard, les papiers commémoratifs et de regrets continuent d'être publiés et Peter Moore, le patron de la division américaine d'alors, passé chez Xbox puis Electronic Arts aujourd'hui, a lui même écrit un hommage sur son blog professionnel. En attendant des papiers plus frais ici, tout droit sorti des archives d'O., voici ce que nous écrivions à l'époque (que l'on veuille bien nous excuser le style pompier d'alors)...

[Overgame ? Overjeu ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Presque toutes les explications ici...]

Comme dans toute bonne tragédie, il aura fallu une mort, celle de la Dreamcast, pour prendre la mesure du drame. Les jeux vidéo vivent une de leur plus grande crise de croissance et révèlent un symptôme : l’inversion des valeurs. Réflexions.

La Dreamcast chérie se meurt, la Playstation 2 qu'on aime détester court vers le succès commercial. Quand le commerce et la communication gagnent la bataille contre la créativité et l'originalité, il s'agit bien, comme l'a dit le philosophe Nietzsche, d'une inversion de toutes les valeurs. Cette fois il ne s'agit plus de mots ou de menaces, il y a eu mort mécanique de la Dreamcast, et les choses ne seront plus jamais comme avant. Les jeux vidéo sont passés du bricolage à l'artisanat pour devenir une industrie lourde et cette fois pour de bon, sans retour en arrière possible.

La tragédie a remplacé la comédie, non pas parce que la Dreamcast a rendu les armes, mais parce que les jeux vidéos sont dorénavant aux mains des marchands. Les mastodontes de la communication capables de vendre du doré pour de l'or. Si on arrive à nous vendre aujourd'hui du hardware dessiné sur du papier ou joli comme un bibelot sans que l'on sache bien quoi en faire, quels jeux réussira-t-on à nous vendre demain ? La Dreamcast nous offrait un repère qualitatif, même si elle sera encore présente cette année dans les foyers, sa disparition laisse l'année 2001 aux seules mains de la Playstation 2, une console pour l'instant plutôt décorative.

Heureusement, une tragédie sans spectateurs ne serait rien. S'il écoute son cœur plutôt que la publicité, le versatile public des jeux vidéo peut encore tout changer. Si les valeurs s'inversent, les tendances aussi.

RENVERSEMENT DE TENDANCE.

ACTE 1 : Sega, j'aurais dû t'être fidèle

Milieu des années 90, la formidable Megadrive agonise avec le Mega CD et le 32X. Sursaut polygonal avec la Saturn, échec suivi d'une petite mort. Résurrection incroyable avec la Dreamcast et… mort définitive des consoles Sega. Sega s'est fait aimer, puis détester, puis ridiculiser, pour retrouver l'état de grâce médiatique. Mais le marché est ailleurs…

Le revirement de situation est étonnant. Heureux challenger de Nintendo avec la Megadrive, Sega était devenu la risée des joueurs après les déceptions consécutives des Mega CD, 32X et Saturn. Quand la Dreamcast est sortie fin 1998 au Japon, le scepticisme prévalait, le public ricanait. Et puis, miracle, les jeux se sont mis à parler. De plus en plus originaux, de qualité croissante, les jeux Dreamcast sont devenus les meilleurs représentants de Sega qui s'est alors offert un retour en grâce inespéré. Car la Dreamcast est une machine formidable, les développeurs le confirment et les jeux le prouvent. Avant de déclarer forfait, la Dreamcast est, en plus, entrée dans l'histoire, en offrant la première aux joueurs consoles la possibilité de se retrouver sur Internet. C'est une machine qui avait tout pour gagner, cela n'aura pas suffit à retenir le raz de marée Sony. Cela prouve au moins deux choses. Tout d'abord que le public spécialisé, et sans pitié, est assez versatile pour changer d'avis ; ensuite, cela implique qu'une console et des jeux de qualité ne garantissent plus un succès commercial.

ACTE 2 : Sony, je t'ai trop aimé

Sony arrive sur le marché des consoles en 1994. La Playstation la joue underground et se fait connaître à la base de la culture jeune et branchée, pratiquement sur les dancefloors. D'abord reconnue par les spécialistes, la console de Sony se transforme alors en produit de masse. Admirée pour avoir revigoré le marché sous le nez de Sega et Nintendo, son succès forcera le respect mais attisera les jalousies. Profitant de son statut de confiance, Sony sur-médiatise le projet Playstation 2. Sans jeux, la nouvelle console chic et trop chère déçoit. Le scepticisme grimpe, la colère monte, la détestation n'est pas loin. Un nouveau challenger sera bien accueilli…

Appréciée universellement et pendant des années, la Playstation a-t-elle assez de souffle pour une nouvelle génération ? Car la Playstation 2, sa descendance, devient peu à peu un objet de dérision quotidien. Le mépris n'est pas loin. Le revirement de tendance est en train d'avoir lieu sous nos yeux, chaque jour. Les magasins expriment clairement du ressentiment vis à vis de la méthode imposée par Sony pour distribuer sa Playstation 2 (système de réservation téléphonique, quantités limitées, …). Quand ce n'est pas le prix et le manque de jeux de qualité, les stocks limités de consoles rendent agressifs les consommateurs trop impatients. Un jour objet de consommation populaire, la Playstation nouvelle version devient un objet rare et cher, un bibelot de luxe dont les multifonctions font perdre de vue l'utilité première : les jeux vidéo.

Sans doute à tort, Sony est accusé de complot universel. Au sommet de l'industrie des jeux vidéo depuis quatre ans, Sony Computer est maintenant accusé d'avoir la grosse tête, d'avoir les yeux plus gros que le ventre. Un jour au service des joueurs, Sony est à nouveau au service de l'électronique grand public et révèle à toute une génération de joueurs un visage qu'elle ignorait. Le ressentiment actuel pourrait très bien devenir de la haine généralisée si des jeux solides ne viennent pas inverser le déclin médiatique. Aussi grossiers soient-t-ils, les énormes signes d'amitié lancés par Microsoft avec sa console Xbox pourraient être entendus des joueurs comme des développeurs.

ACTE 3 : Nintendo, je n'ose plus t'aimer

Nintendo invente les jeux vidéos à l'ouest du Pacifique au début des années 80. Chute du géant américain Atari, Nintendo devient le "Frigidaire" des jeux vidéo : dans les années 80 on ne joue pas aux jeux vidéo, on joue à la Nintendo. Nintendo est devenu la norme. La SuperNintendo sort après le succès de la Megadrive de Sega, les jeux sont indispensables mais l'Empire a tremblé et le doute s'immisce chez les joueurs. La sortie trop tardive de la Nintendo 64 avec un support cartouche d'un autre âge ne convient pas au public Playstation. "La N64 ne serait-elle pas une console pour les enfants ?" se demande le joueur... La gène s'installe…

Jaloux et excessivement protecteur de son succès des années 80, à l'image de son directeur / empereur intransigeant, Nintendo jouera trop les donneurs de leçons. Le message qualité / prudence / patience est sans doute juste, mais la manière de le faire passer est trop rude. Nintendo se révèle conservateur, voire réactionnaire, et commence à transpirer la suffisance. Cartouches trop chères, royalties trop importantes pour les éditeurs, Nintendo ne cherche pas à se faire aimer et se contente du respect que lui valent ses jeux uniques. L'irritation puis l'indifférence des joueurs s'installent dans une routine. La N64 n'a pas bonne image et Nintendo n'a plus la cote. Quelques rares jeux absolument indispensables empêchent la N64 de sombrer dans l'oubli mais qui avouera jouer sur une console pour les enfants ? Surtout que le vrai succès de Nintendo est sur Game Boy avec les Pokémon. Trois extraits de projets GameCube et c'est l'euphorie. Tous les bons souvenirs remontent et le pardon est au bord des lèvres…

ACTE 4 : Constance de la tragédie, je t'aime, moi non plus

La tragédie et les coups de théâtre sont une constance dans l'industrie des jeux vidéo. Le succès phénoménal d'Atari avant une chute digne de l'Empire Romain au début des année 80 aura donné le ton. Depuis, les succès et les échecs se suivent avec une régularité digne d'un sitcom planétaire. Et le public suit.

Avec le retrait de Sega du marché des consoles, une pleine page de l'histoire des jeux vidéos est en train de se tourner. Pour Sega évidemment, qui, tel le Phénix, devrait néanmoins renaître une deuxième fois grâce à ses équipes de développement, mais aussi pour le reste de l'industrie et les joueurs. Annoncé depuis longtemps sans pouvoir en mesurer la portée, le passage d'une industrie de jeux vidéo presque artisanale à une industrie lourde est cette fois énoncée au grand jour. A l'heure où les produits comptent moins que la façon de les vendre, le procédé qui consiste à mesurer la valeur d'un produit en fonction du nombre d'unités vendues, et non de sa valeur intrinsèque, vient d'être entériné dans la jeune industrie des jeux vidéo avec l'arrêt de la console Sega. La Dreamcast était le meilleur produit en rapport qualité / prix sur le marché. Faute, sans doute, de communication suffisante, et à cause aussi de l'hégémonique culture Playstation, la Dreamcast devient un échec commercial alors que c'est une réussite artistique et industrielle. De l'autre côté, tous les acteurs s'interrogent sur la soit disant technologie de pointe de la Playstation 2. Un an après sa naissance, aucun jeu n'est encore venu prouver sa puissance et pourtant, la nouvelle console de Sony se vend aussitôt sortie des usines.

La Playstation 2 est-elle aimée pour autant ? Pas vraiment, car en gagnant la bataille contre une Dreamcast respectée, Sony se met aussi dans la position du bourreau. Si Sony ne justifie pas vite la disparition de la Dreamcast au profit de sa console, la Playstation 2, qui n'a déjà pas bonne réputation, risque définitivement d'endosser le mauvais rôle. Les victimes attirent toujours la sympathie, et les gagnants inspirent la crainte. Plus que tout autre, le public jeux vidéo a prouvé maintes fois sa capacité à changer son fusil d'épaule. Si Sony ne regagne pas rapidement le cœur blessé des joueurs, la tragédie trouvera en la Playstation 2 un nouveau vilain et réclamera en la Xbox un nouveau champion. A moins que, d'un ultime coup de théâtre à l'arraché, l'ancêtre Nintendo ne vienne réclamer avec sa GameCube, la couronne d'un royaume qui était autrefois le sien.

Rideau tiré sur la Dreamcast, il reste encore Sony, Nintendo, et un nouveau challenger de poids, Microsoft. Le petit théâtre des jeux vidéo devenu grand va à nouveau frapper trois coups. Quel sera le prochain acte ? Lever de rideau probable fin 2001.

François Bliss de la Boissière (8 février 2001)

(A suivre, peut-être, si on remet la main sur les archives : Fin de la Dreamcast (II) : 2001 année zéro)

mercredi 2 septembre 2009

Message aux lecteurs : l'exil en chantant…


The Exodus Has Begun chantait incognito dans l'album éponyme l'artiste qui ne voulait plus qu'on l'appelle par son nom dans les années 90.

Comme les lecteurs réguliers d'Overgame le savent, le regretté organisateur de compétitions d'esports, Games Services, devenu éditeur du quotidien Overgame a déposé le bilan il y a déjà plusieurs mois. Depuis, la situation juridique d'Overgame n'a pas encore été réglée et les aléas techniques, entre les mains d'intervenants administratifs visiblement ignares de la vie et des besoins du web, échappent complètement à la rédaction.

Première fois en 12 ans, écrivions nous indignés lors de la première coupure brutale en juin dernier révélant publiquement la mutation en cours. Depuis, coups de fils, mails, rendez-vous manqués et doigts croisés n'auront pas suffit à empêcher la vilaine redite. Une récidive cette fois malheureusement plus durable tant la mauvaise communication entre les différentes parties concernées enlise la situation. Au point de nous obliger à quitter la départementale sur laquelle Overgame avançait à son rythme. Sans doute déjà un peu borderline, voire peut-être hors-jeu diront les visiteurs les plus cyniques, Overgame s'installe donc sur la bande d'arrêt d'urgence en attendant de résoudre le problème.

Selon une des formules consacrées, nous réfléchissons au meilleur moyen de continuer l'aventure du "magazine qui s'amuse à réfléchir" le jeu vidéo. Avec ou sans le flag Overgame.

Pour être tenu au courant de la suite de ces palpitantes aventures, merci, en attendant mieux pour nous et vous, de visiter régulièrement cette adresse où nous parlerons sans doute encore de machins ludiques interactifs, de nous écrire à blissovergame@free.fr, ou de suivre Overgamevoice sur Twitter.

Bliss, Dr Woof perdu quelque part sur les terres de World of Warcraft, et Seb (re)venu à la rescousse de la motivation...