mercredi 9 juin 2010

Comète Mario à l'approche : une 3D toujours prisonnière de la 2D

Les 2 Super Mario Galaxy ont beau jouer avec les perspectives et les volumes comme nulle part ailleurs sur cette planète, ils s'attellent à contraindre Mario, et le joueur, dans de grands couloirs, ou des petites bulles. En 2008 nous pointions du doigt ce concept camouflé en regrettant la perte de liberté goutée avec Super Mario 64 et Super Mario Sunshine. En 2010 Shigeru Miyamoto en personne avalise la notion (merci à lui) et explique tout haut ce concept de gameplay 2D encapsulé dans un monde visuellement en 3D…

En pleine euphorie consensuelle autour du premier Super Mario Galaxy en 2008, nous avions jugé nécessaire de lancer un débat qui n'avait pas lieu en qualifiant le jeu de "meilleur jeu 2,5 D de tous les temps". Nous écrivions alors…

Mario Galaxy enlève au joueur la liberté d'explorer que lui avait donné Mario Sunshine et même, dans une moindre mesure, Mario 64. À ce titre, Mario Galaxy se donne visiblement le même objectif que Zelda Twilight Princess sur Wii : reconquérir coûte que coûte le cœur et les mains des gamers fidèles dont les variations 3D un tantinet relâchées ont fini par perturber, et donc décevoir. Un revirement à double tranchant. Les parcours hyper concentrés et pratiquement sans détour des niveaux de Mario Galaxy sont bien dignes des versions 2D. Mais après Mario Sunshine il s'agit d'un retour en arrière. Depuis toujours, les jeux Mario, Zelda et Metroid cumulent à chaque épisode les acquis des précédents. Une véritable gageure réussie par Nintendo de la 2D à la 3D. Pourtant, l'Observatoire de l'espace de Mario Galaxy n'est qu'un petit carrefour fonctionnel à côté du château de Mario 64 et de l'île Delfino de Mario Sunshine regorgeant de secrets. Quelques uns des niveaux de Mario 64 laissaient déjà un peu d'espace à une exploration vraiment libre (avant la sortie du jeu et en regardant les screens, les observateurs se demandaient déjà en quoi ces espaces «vides» auraient une pertinence ludique et interactive !). Puisque la 3D était acquise et les moyens d'occuper l'espace virtuel aussi, un bon nombre des niveaux de Mario Sunshine permettait de se «promener», de visiter les décors tout en allant à la découverte des surprises dissimulées. Une liberté d'aller et venir qui semblerait ne pas avoir tout à fait convenu à la majorité. Dans Mario Galaxy les parcours sont tous explicitement des trajets d'un point de départ (sans retour en arrière possible) à un point d'arrivée. Les quelques rares planètes permettant un peu de flânerie sont bien trop petites pour dégager un sentiment d'exploration. En réalité, un niveau (une «galaxie») est fragmenté en plusieurs mini planètes dont l'ensemble n'est jamais préhensible ni à pieds ni d'un regard (ce qui fait partie du charme et du mystère). Mario est redevenu le champion, certes tarabiscoté, du parcours A-B.

Cherchant à comprendre pourquoi, dans l'évolution de Mario, Nintendo avait jugé bon de brider la liberté de la 3D, nous poursuivions…

Pour reconquérir son public, Zelda Twilight Princess ramenait Link dans les lieux du jeu référent Ocarina of Time et compilait toutes les aptitudes précédentes. Dans Mario Galaxy, le retour aux valeurs sûres se fait en supprimant la liberté de déplacement du petit bonhomme en salopette et en inhibant le contrôle de la caméra dans une grande majorité de situations. Sans clairement identifier pourquoi, la pensée dominante considère donc que Mario Galaxy a retrouvé toutes ses qualités originales (que n'avait apparemment pas Mario Sunshine), qu'il est même le vrai descendant de Mario 64.

Avant de nous indigner…

Est-ce à dire que Mario ne s'exprimait pas comme il faut dans l'espace 3D plus ouvert de Sunshine ? Qu'il s'éloignait trop de son essence ? Que la réalisation était mal adaptée ? Ne serait-ce pas plutôt le public qui n'a pas su ou voulu suivre l'évolution de Mario vers plus de liberté et de responsabilité ? Car dans Sunshine Mario ne faisait pas que courir après la Princesse Peach. Condamné à tort au nettoyage de l'environnement, par les autorités de l'île où il comptait passer ses vacances, le plombier oisif se retrouvait avec des responsabilités écologiques et civiques. Le pistolet à eau donnait au Jump Man de Miyamoto une prise sur le monde qu'il n'avait jamais eu auparavant. Pour la première fois Mario pouvait impacter sur son environnement avec d'autres outils que son ventre, quand il glisse, son postérieur et sa tête, quand il saute. L'opinion générale a donc rejeté ce Mario presque administré, libre de circuler mais, interdit de vacances, enfin utile. Alors, rejeté par une humanité encore primitive qui n'a pas voulu de lui parmi elle, Mario, le petit prince déguisé en crapaud depuis toujours, s'est arraché à la pesanteur terrestre et s'en est allé tout là-haut voir si son destin ne serait pas finalement plus cosmique que terre-à-terre.

Puis de rendre hommage au talent…

Le génie total de Nintendo est de (presque) réussir à faire oublier que Mario Galaxy est un retour en arrière par rapport à Mario Sunshine. Le vire-voltage permanent du personnage d'une planète à l'autre – et cette fois il vole vraiment comme Superman, mais sans le contrôle du joueur –, la constante impression de sens-dessus-dessous, la folie visuelle provoquée par toutes sortes de mécanismes aux lois physiques autonomes, alimentent une ivresse jouissive, fiévreuse et aveuglante. Mario s'agite beaucoup mais pris dans un perpétuel effet d'entrainement il ne contrôle rien. Quand il a l'opportunité de courir librement, il tourne littéralement en rond sur de petites planètes dont il fait vite le tour. Les seules vraies occasions de franchir du terrain, ou plutôt de l'espace, sont automatisées. Quand le joueur a la main, il est merveilleusement et inexorablement guidé vers un objectif. Sauf à croiser le chemin de planètes « blagueuses » plus challenges, les parcours se font sans chronomètre, il reste donc possible de prendre son temps, de regarder alentour. Sauf que la caméra garde souvent une position prédéterminée et fixe et que la vue subjective, elle aussi pas systématiquement possible, ne laisse pas voir grand-chose puisque les petites surfaces des planètes sont courbes. Au mieux peut-on observer quelques amas de planètes suspendues dans le vide lointain comme le petit Link de Wind Waker repérait au loin une île perdue dans l'immensité de l'océan. Link pouvait alors décider de s'y rendre, Mario lui, doit subir le diktat du jeu.

Et de conclure...

Si la raison d'être ontologique de la 3D virtuelle est d'offrir un espace à arpenter ou posséder, à l'instar d'un Pandemonium ou d'un Crash Bandicoot, Mario Galaxy et ses parcours fléchés dans le cosmos ne serait-il pas le summum du jeu 2D camouflé dans un environnement 3D ? Est-ce que cela lui enlève ses qualités, son inventivité, sa folie ? Non, bien sûr.

Aujourd'hui, Super Mario Galaxy 2 prolonge et sans doute surclasse Galaxy 1. Et au moment où, à nouveau, personne ne soulève la question d'une 3D téléguidée allant chercher dans un monde en volume l'essence d'un gameplay en 2D, Shigeru Miyamoto explique publiquement son projet d'accommoder la 3D à un gameplay en 2D. Voici quelques extraits de son échange avec Satoru Iwata désormais disponible en bonne VF…

"Jouer un jeu en 3D comme s'il s'agissait de 2D"

Satoru Iwata : J’ai l’impression que les gens disent souvent “J’ai tendance à me perdre dans un Mario en 3D alors que ça ne m’arrive jamais avec les jeux en 2D ” ou encore “Les Mario en 3D sont plus difficiles que les Mario en 2D, je ne peux pas y jouer”. J’ai le sentiment que vous avez voulu attaquer ce problème de front.

Shigeru Miyamoto : Oui, mais je pense aussi que nous avons résolu certains problèmes liés aux Mario en 3D avec le premier Mario Galaxy. Vous arpentez des sphères, par conséquent, si vous marchez tout droit, vous finirez toujours par revenir à votre point de départ.

Satoru Iwata : Vous ne pouvez pas vous perdre.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Nous avons remarqué autre chose durant le développement de Mario Galaxy 2. On parle souvent des jeux Mario en 3D, mais en fait, c’est simplement le monde qui vous entoure qui est en 3D. Les aspects les plus amusants du gameplay sont liés à la 2D.

Satoru Iwata : Qu’entendez-vous par là ?

Shigeru Miyamoto : Eh bien, même si le terrain est en 3D, il contient de nombreux objets ainsi que le personnage de Mario. Si vous observez le terrain du dessus, il est plat.

Satoru Iwata : Ah, je vois. Si la caméra est placée au-dessus de votre tête ou sur le côté, vous pouvez y jouer comme s'il s'agissait d'un titre en 2D.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Contrairement aux Mario en 2D qui ne proposent qu’une vue de côté, les jeux en 3D offrent un changement bienvenu, car ils ne comportent pas seulement une surface plane, mais incluent également de la profondeur.

(…)

Satoru Iwata : Le monde est en 3D, mais vous avez mis de côté tous les aspects propres à la 3D qui risquaient de dérouter ou de déstabiliser le joueur. Vous avez consciemment développé le jeu pour que la 2D soit son principal atout.

Shigeru Miyamoto : Oui, c’est pour ça que je pense qu’il est facile à prendre en main.

Entretien intégral à lire en français, Iwata demande, ou en anglais, Iwata asks.

mardi 1 juin 2010

Consoles : le coût élevé des prix bas

Suite à une vague de suicide chez Foxconn, un certain nombre de clients du fabricant chinois de matériel électronique (parmi lesquels Nintendo, Sony ou Apple) annoncent des enquêtes. Mais dans un marché où environnement hyper compétitif et attentes des consommateurs tirent les prix toujours plus vers le bas, on friserait l'impasse.

Depuis le début d'année, en effet, une dizaine d'employés du gigantesque complexe usinier Foxconn – ce dernier en compterait plus de 350.000 selon le Times Online – se sont donné la mort, un phénomène ayant montré une nette tendance à l'accélération ces dernières semaines. Des journaux tels que l'International Business Times ont décrit les conditions de travail comme "difficiles" : journées longues (jusqu'à douze heures, passées la grande majorité du temps debout, à la même position), discipline quasi-militaire, le tout pour un salaire modeste (environ 100 euros par mois) que beaucoup doivent complémenter d'heures supplémentaires. Selon plusieurs analystes, la crise pourrait entacher l'image de Foxconn, bien sûr, mais aussi celle de ses clients ; outre la très family-friendly Wii, les composants produits par la société chinoise sont utilisés dans la Playstation 3, la Xbox 360 ou l'iPod/iPad. En plus de Nintendo, des géants tels que Sony, Apple, Hewlett-Packard ou Dell ont tous annoncé leur attention de mener leurs propres enquêtes sur les conditions de travail chez Foxconn. Mercredi dernier, Apple s'était dit "troublé" par la situation.

L'implication de Nintendo dans l'affaire a le mérite d'attirer l'attention des joueurs sur une question de plus en plus brûlante : le véritable coût, humain cette fois, de nos gadgets électroniques favoris. Car si, actualité oblige, Foxconn monopolise les gros titres en ce moment, la situation serait souvent la même sur la majorité du territoire chinois. Interrogé par le Los Angeles Times, un expert concède que Foxconn "ressemble à une prison de l'extérieur" mais rappelle qu'il existe des employeurs bien pires. "Les salaires sont dans les normes, les heures supplémentaires sont payées au tarif normal et ils fournissent la couverture sociale", explique-t-il. Pour une idée du pire, il suffit de remonter pas plus loin que le mois dernier. Dans un article de l'agence Reuters, un rapport du National Labor Committee révélait alors que les employés d'une usine de KYE Systems en Chine – laquelle fabrique entre autres souris et manettes Xbox 360 pour Microsoft – pouvaient travailler jusqu'à 15 heures par jour avant de retourner dans des dortoirs sales. Le géant américain avait lui aussi annoncé avoir lancé sa propre enquête. "Si nous nous apercevons que l'usine ne respecte pas nos standards, nous prendrons les actions qui s'imposent," a promis l'un des responsables du groupe.

Le problème est de savoir exactement quelles "actions" les fabricants peuvent effectivement se permettre de prendre. Les nombreux articles sur le sujet dépeignent en effet une situation inextricable, du moins à court terme : pour fabriquer les appareils bons marchés dont dépendent les business des géants de l'électronique, et en quantité suffisante, ceux-ci ont un besoin crucial d'usines telles que Foxconn, lesquelles promettent des niveaux record de productivité à des tarifs plancher. Interrogé par l'International Business Times, un analyste rappelle qu'Apple a vendu 8.75 millions d'iPhone le trimestre dernier. "Quand vous voulez fabriquer autant d'appareils et que les voulez à un prix compétitif, vous n'avez pas beaucoup d'options disponibles," explique-t-il, suggérant la présence d'une impasse. Il ne croit pas si bien dire. L'affaire Foxconn n'est en effet pas nouvelle : on accusait déjà l'usine d'exploiter ses employés en… juin 2006 ! A l'époque, là encore, Apple avait promis un audit. Les relations Apple-Foxconn continuent à ce jour. Mais les consommateurs porteraient eux aussi une part de responsabilité. "L'industrie [de l'électronique] au global a laissé le public s'habituer à un marché où les gadgets sont relativement bon marché," conclut le Times Online, suggérant là encore un retour en arrière difficile. Pas de retour en arrière, en revanche, pour la dizaine de suicidés de Foxconn. En attendant le résultat des audits, la direction de l'usine aurait déjà pris un certain nombre de mesures : hotline anti-suicide, moines bouddhistes pour chasser les mauvais esprits et installation de filets sous les fenêtres pour repêcher les jeunes ouvriers tombés du nid. "Ca semble idiot, a déclaré Terry Gou, le président de Foxconn, selon Reuters, mais ça peut sauver une vie si quelqu'un tombe."