mardi 25 mai 2010

Prosopamnesia : jeu de mémoire

A essayer, un objet à la limite du jeu vidéo et de l'art interactif évoque la furtivité et la fragilité du souvenir.

The Games Collective est un groupe de créateurs indépendants organisant régulièrement des petits concours amicaux sur un thème imposé, généralement hérité du monde de l'art ou de la culture. Pour donner une idée, le dernier en date défie les membres de concevoir un jeu basé sur le manifeste ultra-féministe de l'intellectuelle américaine Valerie Solanas, également connue pour avoir tenté d'assassiner Andy Warhol le 3 juin 1968. Appelant entre autres à la "suppression du sexe masculin", le texte décrit les hommes tantôt comme des "accidents biologiques" ou bien des "godemichés ambulants".

Le mois dernier, le thème était la "capacité négative", terme inventé par le poète anglais John Keats et désignant le don de l'artiste à embrasser le doute et l'imaginaire au détriment des faits et de la raison. Cinq jeux furent développés mais le plus intéressant est certainement celui d'Alejandro Grilli J., designer graphique chilien. Prosopamnesia, baptisé d'après un trouble neuropsychologique authentique rendant difficile la reconnaissance des visages, offre à l'internaute une page presque blanche, qu'il peut "peindre" d'un simple mouvement de souris. Des yeux, des bouches semblent apparaître avant d'être immédiatement remplacées par d'autres, évoquant la furtivité et la fragilité du souvenir. La bande-son minimaliste remplit son rôle, mais elle pourra être avantageusement remplacée par les rêveries mélancoliques du Caretaker, artiste anglais se disant inspiré par "toutes sortes de troubles mentaux" dont l'amnésie ou la maladie d'Alzheimer.

Jeu ou objet d'art interactif ? La question pourra éventuellement se poser, et on laissera à chacun le soin de juger. La nature constamment changeante du pinceau (un "mystère" expliqué sur la page web de l'auteur) s'impose en tout cas comme une "règle" intéressante – et dont certains ont déjà tiré de très belles et très étranges victoires. Au-delà du sempiternel débat "le jeu vidéo est-il un art ?", Prosopamnesia rappelle peut-être tout simplement que l'art peut aussi être un jeu.

mercredi 12 mai 2010

EA Online Pass : taxe réseau

S'apparentant à première vue à une attaque directe sur le marché de l'occasion, le nouveau programme concocté par Electronic Arts esquisse en fait un futur qualifié par certains d'inévitable : la fin programmée du jeu online illimité et gratuit.

Le programme, annoncé officiellement hier, démarrera le 8 juin prochain aux Etats-Unis avec la sortie de Tiger Woods PGA Tour 11. A partir de cette date, tous les jeux Xbox 360 et Playstation 3 estampillés EA Sports tels que FIFA ou Madden incluront un code à usage unique permettant l'accès "total" à du contenu bonus ainsi qu'à des fonctionnalités en ligne. Pas de code (si la copie a été achetée d'occasion par exemple), pas de multijoueur en réseau, à moins d'acheter un Online Pass, sorte de redevance se montant à 10 dollars et rétablissant l'accès aux serveurs Electronic Arts.

A première vue, ce passe numérique présente beaucoup de similarités avec les stratégies choisies par un certain nombre d'éditeurs – le fameux Project Ten Dollars, par exemple, là encore une idée d'EA – pour freiner l'expansion du marché d'occasion (récemment, des géants tels que Best Buy en Angleterre ou Wal-Mart aux Etats-Unis ont annoncé leur intention de se lancer sur le créneau). Interrogé hier par le magazine Develop, le co-fondateur du studio Blitz Games Andrew Oliver déclarait d'ailleurs qu'il s'agissait là d'un problème "beaucoup plus important que le piratage".

Pourtant, le Pass Online présente une différence fondamentale. Quand d'autres ont jusque là récompensé les acheteurs de jeux neufs avec du contenu supplémentaire (Gears of War 2, Dragon Age, le futur Alan Wake…), Electronic Arts, ici, semble pénaliser les fans de l'occasion en désactivant l'accès à des fonctionnalités légitimement considérées comme faisant partie de l'expérience de base. Plus mordant qu'à l'accoutumée, le site GamePolitics, en particulier, estime que le programme "cible directement les consommateurs" plutôt que les revendeurs. Curieusement, la chaîne Gamestop – qui aurait pourtant à priori tout à perdre d'une telle attaque sur l'un de ses marchés les plus juteux – semble accueillir la nouvelle avec sérénité, déclarant qu'elle colle avec ses "investissements" dans le domaine du contenu téléchargeable. Les passes seront en effet vendus via le Xbox Live ou le Playstation Network, payés à l'aide d'une carte de crédit ou d'une carte prépayée – cartes prépayées disponibles entre autres chez Gamestop. "Ce n'est que la première salve tirée dans la guerre contre le marché de l'occasion […] et les consommateurs se retrouvent pris entre deux feux", conclut GamePolitics.

Mais la vraie bataille se joue peut-être ailleurs. Voir le langage utilisé par Electronic Arts dans une FAQ officielle postée sur le site de l'éditeur : "Lorsque nous voyons tous ces gens jouer à nos titres en réseau, les consommateurs nous font comprendre que la compétition [en ligne] fait partie intégrante de l'expérience d'un jeu de sport […] et nous voulons réserver les serveurs EA Sports à ceux qui paient Electronic Arts pour y avoir accès." En d'autres termes, ce Pass Online s'impose en fait comme une taxe réseau dont tous, que ce soit via l'achat d'une copie neuve à 60 dollars ou d'un DLC à 10 dollars, doivent s'acquitter.

Mais surtout, on comprend que tous ces joueurs passant quasi-gratuitement des heures et des heures en réseau sur Modern Warfare 2 (1.75 milliards d'heures cumulées sur le seul Xbox Live au 7 avril dernier selon Microsoft) représentent un coût non négligeable pour les éditeurs – et un manque à gagner certain. "Je crois que l'industrie du jeu vidéo s'est créé ses propres problèmes en offrant aux consommateurs du jeu réseau gratuit et illimité, estime un analyste interrogé par le magazine IndustryGamers. La réalité est que ces jeux sont très coûteux à développer et qu'il est irréaliste de penser que cette gratuité puisse continuer pendant très longtemps. En clair, les éditeurs vont devoir trouver des moyens de monétiser les modes online." En vendant des map packs, par exemple ; le dernier en date pour Modern Warfare 2, le Stimulus Package, s'est vendu à plus de 2.5 millions d'exemplaires – à 15 dollars pièce. Activision, jamais à court d'idées pour arrondir ses fins de trimestres fiscaux, suggérait par ailleurs que la franchise Call of Duty pourrait bientôt expérimenter avec des formules de paiement par abonnement à la World of Warcraft. "Le concept [de l'Online Pass] est simple, conclut l'analyste Michael Pachter. Puisque l'expérience des joueurs migre de plus en plus vers les espaces online, les éditeurs doivent obtenir compensation. Je pense que ça va devenir le standard."

mardi 4 mai 2010

PS3 & PSP : Sony assure

Le géant japonais rajoute une ou deux années supplémentaires à la garantie américaine de ses consoles. Une décision qui aurait moins à voir avec la fiabilité (à priori correcte) des machines qu'avec le simple désir d'arrondir ses résultats.

Car l'offre, annoncée hier uniquement pour le marché américain, n'est pas gratuite. Une année supplémentaire de couverture sur la Playstation 3 coûte 45 dollars ; deux années, 60 dollars. La PSP est elle aussi concernée : l'offre démarre à 30 dollars pour une extension d'un an et 40 dollars pour une extension de deux ans. Pour 10 dollars supplémentaires, Sony inclut également une protection supplémentaire contre les dommages accidentels résultant par exemple d'une chute.

A première vue, la nouvelle évoque une affaire similaire. En juillet 2007, Microsoft annonçait en effet étendre la garantie de la Xbox 360 à trois ans (gratuitement cette fois) afin de faire taire une fois pour toutes les plaintes liées au tristement célèbre Red Ring of Death, une panne générale du système si répandue qu'elle s'est finalement imposée comme un symbole de pop culture gamer geek. La Playstation 3, elle, aurait apparemment son Yellow Light of Death, un autre phénomène de panne générale s'étant fait connaître via le web et, surtout, via une émission de la BBC diffusée en septembre dernier (même si certains ont ouvertement mis sa crédibilité en question). Mais on est à priori loin des affres connues par Microsoft. Selon plusieurs sondages plus ou moins formels, le taux de panne de la Playstation 3 se situerait aux alentours des 10-15%, légèrement au-dessus de la Wii mais très largement sous la Xbox 360.

Si Sony se sent soudainement concerné par la "tranquillité" des usagers, c'est vraisemblablement pour une raison très simple. Aux Etats-Unis, qu'il s'agisse des incontournables Wal-Mart, Best Buy ou Target, impossible d'acheter quoi que ce soit (du radio-réveil de base à l'écran plasma dernier cri) sans se voir proposer un Protection Plan ou un Service Plan par un vendeur ravi de détailler pour vous les mille et un scénarios catastrophe pouvant menacer votre nouveau gadget. La chaîne Gamestop va même jusqu'à "assurer" un jeu vidéo acheté pour 3 dollars supplémentaires à la caisse. Or le business des extensions de garanties est extrêmement juteux. Selon l'association américaine de consommateurs Consumer Reports, rares sont les acheteurs y faisant appel après avoir souscrit, car rares sont les appareils tombant en panne durant la période de couverture, même étendue. Du profit quasi-pur pour les revendeurs, qui empochent du même coup des marges pouvant monter jusqu'à 60%.

On comprend que Sony puisse désirer une part de ce gâteau, laissé entièrement à d'autres depuis la sortie de la Playstation 3 en 2006. Car si les derniers résultats trimestriels du groupe en février ont affiché positif pour la première fois depuis plus d'un an d'après Reuters, le géant japonais n'est pas encore sorti d'affaire, une crise sans précédent ayant provoqué le licenciement de près de 20.000 employés l'année dernière. Pour l'année fiscale 2009, dont les résultats devraient être connus très bien bientôt, Sony anticipe encore 30 milliards de yens de pertes (244 millions d'euros). "Les revenus plafonnent, déclarait un analyste en février dernier. La poursuite de la reprise du groupe l'année prochaine dépendra principalement des divisions télévision et jeux vidéo."